Pass sanitaire: «On crée une sorte de nouvel ordre moral sanitaire au détriment de toutes nos valeurs»

© AP Photo / Kamil ZihniogluJean Castex, Emmanuel Macron et Jean-Yves le Drian, Palais de l'Élysée, 26 août 2020
Jean Castex, Emmanuel Macron et Jean-Yves le Drian, Palais de l'Élysée, 26 août 2020 - Sputnik Afrique, 1920, 28.04.2021
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Emmanuel Macron et Jean Castex ont tous deux reconnu l’arrivée imminente d’un «pass sanitaire». Si ce document serait dans un premier temps dévolu aux voyages, certains craignent qu’il soit ensuite étendu à la vie de tous les jours. Au micro de Sputnik, l’avocat Thibault Mercier fustige la stratégie «non démocratique» empruntée par le gouvernement.

La perspective d’un sésame vaccinal se rapproche à grands pas. À l’occasion d’un échange en visioconférence avec des maires, ce mardi 27 avril, Emmanuel Macron a reconnu que le gouvernement planchait sur la création d’un «pass sanitaire», lequel serait utilisé non pas «pour la vie quotidienne, mais pour les grands événements». Si le chef de l’État indique qu’un «test de contrôle négatif» est une option possible en plus de la vaccination, l’avocat Thibault Mercier ne se fait guère d’illusion sur la démarche envisagée par l’exécutif.

«Le gouvernement a choisi de manière non démocratique que la seule voie vers une sortie de crise serait le vaccin», tacle le cofondateur du Cercle droit et liberté, un réseau de juristes, au micro de Sputnik.

En théorie, l’État pourrait imposer la vaccination à tous les citoyens si le motif de «santé publique» était retenu. «Les libertés sont publiques et pas seulement individuelles: elles doivent être prises dans leur dimension collective», rappelle Thibault Mercier. Or, pour notre interlocuteur, le fait que «le consensus scientifique» ne soit «pas atteint sur la vaccination obligatoire pour tout le monde» devrait inviter les gouvernants à la plus grande prudence. «Le Conseil d’État a décidé en mai 2019 qu’on pouvait rendre la vaccination obligatoire si cela permettait d’atteindre l’immunité collective. Pourtant, au vu des débats scientifiques actuels, on ne sait pas si ces vaccins contre la Covid-19 permettront d’atteindre cette immunité collective. Juridiquement, l’obligation vaccinale paraît donc assez limite et pourrait manquer de proportionnalité», précise le juriste.

Un passeport vert en attendant le pass sanitaire?

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Quoi qu’il en soit, l’exécutif a franchi une nouvelle étape en vue de l’élaboration d’un passeport sanitaire en se dotant des outils juridiques indispensables à sa mise en œuvre. Ce mercredi 28 avril, le gouvernement a ainsi présenté un projet de loi «relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire». Au cœur du texte se trouve l’instauration d’un passeport vert. Certes, le terme n’est pas employé explicitement dans le projet de loi. Mais celui-ci permet au Premier ministre d’imposer à toute personne souhaitant voyager «à destination ou en provenance» de la France la présentation d’un certificat de vaccination, d’un test négatif ou d’un document attestant une contamination antérieure au Covid-19. À l’issue du Conseil des ministres, Jean Castex a présenté ce document comme «un nouvel outil auquel nous allons donner un fondement législatif et qui s’inscrit dans une initiative européenne». «Il vise les déplacements pour rentrer ou pour sortir du territoire national: son contenu peut être les tests, la vaccination ou toute preuve que l’on n’est pas porteur du virus», a-t-il ajouté.

Bien sûr, il n’est pas encore formellement question d’un pass sanitaire. Lequel s’appliquerait à l’intérieur du territoire afin de permettre l’accès à certains commerces, aux bars ou aux restaurants par exemple. Toutefois, une telle perspective semble loin d'être écartée. Le Premier ministre l’a d’ailleurs reconnu à demi-mots lors de sa conférence de presse. «Y aura-t-il d’autres usages? Nous devons en débattre dans le cadre de la stratégie de réouverture que le Président de la République va présenter, pour l’accès à de grands événements sportifs ou culturels par exemple. C’est le Parlement qui aura le dernier mot s’agissant de ces sujets. C’est un élément de sécurité qui touche à nos libertés fondamentales, il est donc normal que le législateur s’en saisisse», a-t-il ainsi précisé.

«Il faudrait surtout qu’il y ait un débat démocratique»

De là à imaginer qu’il faudra se faire tester avant de prendre un café en terrasse? «Vu l’année qui vient de s’écouler, j’ai peu d’espoir dans un futur respect des droits des Français par le gouvernement», prévient Thibault Mercier. «Étant donné la culpabilisation et la peur qui ont été utilisées dans cette crise, il est possible que cette nouvelle restriction de nos libertés soit mise en place sans que les citoyens ne se révoltent.»

«Toute mesure est forcément attentatoire à nos libertés à partir du moment où elles sont restreintes. L’important est de comprendre pourquoi celles-ci sont restreintes: depuis un an, on crée une sorte de nouvel ordre moral sanitaire qui fait que la santé des plus vieux est devenue l’objectif à atteindre, quoi qu’il en coûte, au détriment de toutes les valeurs qui font notre société», fustige l’avocat.

Au niveau européen, le passeport vaccinal n’a en tout cas plus rien de chimérique depuis que la Commission européenne a officialisé la création d’un «certificat vert numérique» destiné à conditionner les déplacements au sein de l’UE. Le document devrait être opérationnel dès juin prochain. Reste à savoir si chaque État membre pourra également décider de son usage à l’intérieur de ses frontières, pour l’accès à certains lieux par exemple. «La France a encore la souveraineté de décider elle-même ce qu’il se passe sur son territoire en ce qui concerne ce pass sanitaire», répond Thibault Mercier. «Il faudrait une loi. Mais, surtout, il faudrait qu’il y ait un débat démocratique! C’est ce qui est demandé par les Français, d’ailleurs», ajoute notre interlocuteur.

​Nul ne connaît l’avis définitif des Français sur la création du pass sanitaire. Une chose est sûre, la majorité présidentielle est elle-même fragmentée sur le sujet: une consultation interne menée la semaine dernière auprès des adhérents LREM révèle que seuls 50% des «marcheurs» sont favorables à la création d’un pass sanitaire pour les grands événements. Pis, seulement 30% d’entre eux approuvent son utilisation dans la vie de tous les jours.

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