Prolongation de l’état d’urgence, pass sanitaire: la folie liberticide du gouvernement toujours en marche?

© AFP 2024 CHRISTOPHE ENALe Président de la République française Emmanuel Macron et son Premier ministre Jean Castex lors du défilé militaire du 14 juillet 2020
Le Président de la République française Emmanuel Macron et son Premier ministre Jean Castex lors du défilé militaire du 14 juillet 2020 - Sputnik Afrique, 1920, 23.04.2021
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Le projet de loi sur l’état d’urgence sanitaire prolonge jusqu’au 31 octobre 2021 la quasi-totalité des pouvoirs exceptionnels accordés au gouvernement face à l’épidémie de Covid-19 avec, en prime, la possibilité d’un «pass sanitaire». Décryptage sur une possible dérive liberticide avec les juristes Anne-Marie Le Pourhiet et René Boustany.

C’est une information passée relativement inaperçue, mais qui risque d’être lourde de conséquences pour ceux qui espéraient un prompt retour à la vie normale: censé s’achever le 1er juin prochain, l’état d’urgence sanitaire devrait être prolongé jusqu’au… 31 octobre 2021. Le site spécialisé Contexte a ainsi dévoilé le projet de loi du gouvernement visant à étendre les pleins pouvoirs de l’exécutif dans la gestion de la crise sanitaire. Le principe d’un «pass sanitaire» et l’imposition d’un lieu de quarantaine pour les voyageurs revenant de l’étranger sont aussi prévus par le texte. Un «tour de force politique» «absolument pas justifié et totalement disproportionné», tance l’avocat René Boustany, cofondateur du Cercle droit et liberté.

«L’idée maintenant, c’est: “on vous rend vos libertés si vous vous êtes bien tenus”. Dans cette logique-là, il n’y a pas de raison de sortir d’un état d’urgence permanent», dénonce-t-il au micro de Sputnik.

Ce régime exceptionnel, qui perdure depuis le 23 mars 2020 (avec un interlude entre le 10 juillet et le 17 octobre), permet au gouvernement de prendre certaines mesures privatives de libertés sans passer par le Parlement. Autrement dit, si cette nouvelle prorogation de l’état d’urgence sanitaire se confirmait, l’exécutif pourrait décider de manière unilatérale d’imposer de nouveau des confinements localisés, des couvre-feux, des déplacements ou des interdictions de rassemblements sur l’ensemble du territoire national. Et ce au moins jusqu’à l’automne, donc. Toutes ces mesures seront débattues le 10 mai à l’Assemblée nationale, puis au Sénat.

​Le «pass sanitaire» rendu possible

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Au cœur de ce projet de loi se trouve la réalisation d’un «pass sanitaire». Un sujet inflammable qui n’a pas manqué d’alimenter la polémique depuis que la Commission européenne a présenté son passeport vaccinal destiné à rendre possibles les déplacements au sein de l’UE. Si le terme n’est pas employé explicitement dans le projet de loi, le texte donne la possibilité au Premier ministre d’imposer à toute personne souhaitant voyager «à destination ou en provenance» de la France la présentation d’un certificat de vaccination, d’un test négatif ou d’un document attestant d’une contamination antérieure au Covid-19. En d’autres termes, l’exécutif aurait alors l’outillage juridique suffisant pour mettre en œuvre ce fameux «pass sanitaire», dont l’arrivée dans l’Hexagone n’a jamais été aussi imminente.

«C’est liberticide et discriminatoire: certaines personnes ne veulent pas se faire vacciner, ou ne peuvent pas se faire vacciner. Les libertés ne seront plus des droits naturels ou absolus mais conditionnées à un “pass sanitaire” qui sera en réalité un instrument politique et administratif», s’insurge René Boustany.

«Encore une fois, on nous impose des mesures graves dont on ne connaît ni les tenants ni les aboutissants, ce qui fait que le débat démocratique est inexistant!», poursuit le juriste du Cercle droit et liberté. De son côté, Anne-Marie Le Pourhiet refuse de parler de «rupture d’égalité» entre ceux qui sont vaccinés et ceux qui ne le seraient pas. «C’est une question d’égalité dans le temps: pourquoi voulez-vous que les gens qui sont vaccinés attendent de pouvoir voyager? C’est un égalitarisme débile!», s’exclame-t-elle.

Toujours selon le texte du projet de loi, l’État pourra désormais choisir un lieu de quarantaine pour les voyageurs provenant de zones à risque. À compter de ce samedi 24 avril, une quarantaine obligatoire devra être observée pour les passagers qui arrivent du Brésil, d’Argentine, du Chili, d’Afrique du Sud et de Guyane. Avec le projet de loi porté par le gouvernement, le préfet pourra ainsi «s’opposer au choix du lieu retenu par l’intéressé s’il apparaît que ce lieu ne répond pas aux exigences adaptées à son placement en quarantaine ou en isolement». «Une atteinte grave au droit à la vie privée des individus», pour René Boustany.

«Il faut reconnaître que c’est un peu intrusif: c’est un truc à avoir des réserves d’interprétation du Conseil constitutionnel», concède Anne-Marie Le Pourhiet. «On reste néanmoins loin du caractère intrusif de certains pays, comme Israël qui impose une quarantaine de quatre semaines dans un hôtel pour tout Israélien qui rentre chez lui», ajoute la constitutionnaliste.

«Un moyen pour le gouvernement de garder la main»

Par ailleurs, les modalités de ce nouvel état d’urgence sanitaire seraient exactement les mêmes que celles prévues jusqu’à présent: sur simple décret, le gouvernement pourra imposer la fermeture des bars, des restaurants, des théâtres, des cinémas, et limiter les déplacements. Seul changement: le confinement généralisé ne sera plus autorisé –une option à laquelle Emmanuel Macron a annoncé ne plus vouloir recourir, de toute façon.

«En réalité, cet état d’urgence sanitaire est juste un moyen pour le gouvernement de garder la main complète sur la gestion de cette crise. C’est en fait un état de “gestion de crise” sanitaire», fustige René Boustany.

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Pour le juriste, le principe même de l’état d’urgence sanitaire n’est pas justifié d’un point de vue purement juridique. «L’état d’urgence est fait pour répondre de manière rapide à une situation exceptionnelle, à laquelle nous n’étions pas préparés. Or, cela fait maintenant treize mois que nous sommes dans cette crise sanitaire: nous ne sommes pas pris de court!», argue-t-il.

Pour la professeure Anne-Marie Le Pourhiet, en revanche, «il serait stupide de se priver prématurément de la possibilité de prendre des mesures tant que l’on n’est pas certain d’en avoir de nouveau besoin». Le spectre des nouveaux variants indien et brésilien, décrits comme plus contagieux et plus meurtriers, devrait inciter à la prudence, selon la constitutionnaliste.

«Le fait de sortir de l’état d’urgence pour après “replonger” serait pour le coup mal perçu», avance-t-elle.

Et Anne-Marie Le Pourhiet de rappeler au passage qu’«une loi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire n’est jamais qu’un potentiel: ce n’est pas ça qui en soi prolonge le confinement. Cela permet simplement au gouvernement de prendre des mesures adaptées», veut-elle croire.

«Je rappelle que l’état d’urgence pendant la guerre d’Algérie a été appliqué de 1955 à 1963. On a de la marge! Ces préoccupations droits-de-l’hommistes au ras des pâquerettes sont franchement ridicules», persifle-t-elle.

«L’histoire prouve que quand un gouvernement s’arroge un pouvoir, c’est rarement pour ne pas l’utiliser! S’il le fait, c’est donc pour pouvoir se permettre de le faire, et il emploiera n’importe quel prétexte pour le faire», réplique René Boustany.

«Nos libertés deviennent des variables d’ajustement des décisions politiques»

Le projet de loi est actuellement entre les mains du Conseil d’État qui pourrait émettre des réserves avant la présentation du texte le mercredi 28 avril en Conseil des ministres. Quid d’une censure éventuelle des hauts fonctionnaires du Palais Royal, voire des Sages de la rue de Montpensier?

«Le Conseil constitutionnel pourrait censurer certaines dispositions mais aussi les valider. Il peut dire que la sécurité sanitaire prévaut sur la liberté d’aller et venir, par exemple. Ce sera un peu au bon vouloir des magistrats, qui ne remplissent pas tout à fait leur rôle de sentinelles de nos libertés, selon moi», avance René Boustany.

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Taux d’incidence, taux de reproduction du virus, ou encore saturation des lits de réanimation dans les hôpitaux: le fait que que le gouvernement ne sache plus très bien à quel saint se vouer pour déterminer la gravité de l'épidémie contribue à ce que «nos libertés deviennent des variables d’ajustement des décisions politiques», avance le juriste. «Avant, c’était le variant anglais, maintenant c’est le variant brésilien, ensuite le variant indien: il y aura toujours une bonne raison pour rester sous cloche et pour imposer de nouvelles mesures», peste-t-il. Le pire étant selon lui que «ces mesures liberticides sont prises sans tenir compte de la volonté populaire», c’est-à-dire sans concertation démocratique. L’Assemblée nationale et le Sénat n’étant même pas consultés en amont, «le débat parlementaire n’existe pas», regrette notre interlocuteur.

«L’exécutif a vraiment pris les pleins pouvoirs. Les députés sont d’ailleurs les premiers à s’en plaindre!», signale René Boustany.

Fin février, dix députés de la majorité présidentielle rédigeaient ainsi une «mise en garde à l’adresse du gouvernement sur sa dérive liberticide», confiant leur inquiétude vis-à-vis de la prolongation de l’état d’urgence sanitaire. Une missive restée lettre morte, à la lecture de ce nouveau projet de loi. «Une mobilisation populaire pourrait sans doute faire inverser la tendance…», souffle René Boustany.

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