Tout roule pour Pfizer et l’Union européenne. Lundi 19 avril, Bruxelles annonçait avoir activé une option pour un nouveau contrat de 100 millions de doses supplémentaires du vaccin de Pfizer-BioNTech. Quelques jours plus tôt, le commissaire européen Thierry Breton s’affichait avec le Premier ministre français Jean Castex, se congratulant courtoisement l’un l’autre de l’efficacité de la «task force» européenne. Au menu de la rencontre: de nouveaux contrats signés avec Pfizer pour les années 2022 et 2023 pour deux milliards de doses de vaccin «adapté aux variants et à de possibles futurs variants».
C'est grâce à la task force européenne pilotée par @ThierryBreton que notre pays recevra d'ici 15 jours plus de 7 millions de doses supplémentaires du vaccin BioNTech-Pfizer( +250 millions de doses à l'échelle de l'UE) tout en renforçant nos capacités de production.
— Jean Castex (@JeanCASTEX) April 16, 2021
On accélère ! pic.twitter.com/CmnpuFr9h0
Les clauses de confidentialité qui verrouillent ces accords empêchent de connaître les conditions et les montants exacts des transactions au profit de la multinationale américaine. Mais le silence entourant le prix du vaccin à l’unité commence à se dissiper. Au lieu du tarif «suspecté» de 12 euros pour le premier contrat passé avec le groupe pharmaceutique, l’Union européenne débourserait en réalité 15,50 euros par dose pour les 200 premiers millions de doses commandées, selon une information diffusée ce mercredi 21 avril par le journal espagnol La Vanguardia –qui dit avoir eu accès à cet accord.
Le premier lot de 300 millions de doses aurait en réalité coûté à l’Union européenne 4.650 millions d’euros.
Et le prix d’une dose pourrait s’envoler à 17,5 euros pour les prochains contrats. Voire davantage, le tout sur le compte du budget européen.
‘La Vanguardia’ accede al documento sobre los pactos por la compra de dosis.https://t.co/kzemZOQc1x por @CelesteLopezP, @masdeu24
— La Vanguardia (@LaVanguardia) April 21, 2021
De 12 à 19 euros la dose
La secrétaire d’État belge au Budget, Eva De Bleeker, divulguait au mois de décembre 2020 sans autorisation sur son compte Twitter les prix de chaque vaccin produit par les grands laboratoires. Dont le Pfizer-BioNTech établi à 12 euros. Avant d’effacer son tweet, donnant du grain à moudre à tous les suspicieux.
"I går skrev Belgiens budgetstatssekreterare Eva De Bleeker en tabell med priset på varje vaccin som köps in av EU i ett inlägg på Twitter."https://t.co/1F3MmGyZlv
— Bengt Höjer (@BengtHojer) December 18, 2020
Det var stora skillnader. pic.twitter.com/vBen5yYli7
Ce manque de transparence est courant dans les contrats passés entre sociétés pharmaceutiques et puissances étatiques. Il assure aux laboratoires des gains substantiels en négociant au cas par cas avec chaque pays en fonction de ses ressources. De quoi alimenter la méfiance envers l’industrie pharmaceutique, et en particulier le géant Pfizer qui n’en est pas à ses premières accusations.
L’information diffusée par le journal espagnol confirme plusieurs rumeurs qui couraient ces derniers temps sur les profits engendrés par le groupe grâce à la crise. Le 12 avril, le Premier ministre bulgare Boïko Borissov brisait ainsi le silence entourant le prix des vaccins en dévoilant le nouveau contrat passé entre les États membres et Pfizer, à savoir la commande de 1,8 milliard de doses pour 2022 et 2023.
«Pfizer était à 12 euros, puis le prix est passé à 15,50 euros. Et maintenant, on signe des contrats pour 900 millions de vaccins au prix de 19,50 euros, ce qui représente quasiment 18 milliards d’euros!», s’insurge-t-il.
Et le Premier ministre bulgare de laisser penser que le monopole du groupe pharmaceutique sur le marché des vaccins en Europe n’est pas près de s’arrêter: «Beaucoup de variants vont apparaître et donc on aura une première injection, une deuxième, puis une troisième et une quatrième! Cela va avoir un impact sur les budgets des prochaines années», prophétise-t-il.
Troisième dose et rappel à 150 euros?
À la mi-mars, deux dirigeants du géant pharmaceutique confirmaient cette augmentation à venir des prix des vaccins Pfizer, la justifiant par «la situation de pandémie» et «les besoins des gouvernements». Le PDG du groupe lui-même validait ces rumeurs. Albert Bourla déclarait ainsi récemment sur la chaîne américaine CNBC qu’une «troisième dose serait probablement nécessaire», avec «une vaccination à nouveau chaque année». De quoi assurer une solide rente au géant de l’industrie pharmaceutique américaine. La dose du vaccin pourrait même monter pour l’Union européenne à 53,40 euros, selon certaines informations, avec des rappels vaccinaux annuels à 150 euros la dose…
#Pfizer promet aux marchés financiers une augmentation de ses tarifs jusqu’à 150 euros la dose. Elle ne lâche rien sur ses brevets, qui lui assurent des profits considérables. La Commission européenne regarde ailleurs. #vaccin https://t.co/btxRsN0luK
— L'Humanité (@humanite_fr) April 21, 2021
Des prévisions qui rendent caduc l’argument de Bruxelles pour justifier ces gros contrats. À savoir qu’en plus de l’urgence, la commande passée grâce à l’accord européen avait permis de réduire le prix d’achat global. C’est en effet la raison pour laquelle Israël aurait payé bien plus cher (22,70 euros) sa dose Pfizer, selon le Times of Israel. De même, les États-Unis, faisant bande à part, ont déboursé davantage à l’achat leurs vaccins Pfizer à 16,30 euros la dose. Mais les informations disponibles ne portent encore que sur les premières commandes. Personne ne sait si les Américains paieront le même tarif pour les 100 millions de doses à venir. Et au vu de l’appétit du laboratoire pharmaceutique, on peut en douter.
Brevets et verrouillage
Face aux polémiques entourant son concurrent AstraZeneca, Pfizer peut tirer profit de la crise sanitaire en révisant à la hausse ses tarifs. C’est aussi la raison pour laquelle le géant, comme les autres grands labos, ne souhaite pas de levée de brevets concernant les technologies vaccinales utilisées contre le Covid-19. Un refus le plus souvent fondé sur le manque à gagner pour un retour sur investissement négligeable. Le coût en recherche et développement (R&D) justifierait une telle course aux profits pour rattraper les sommes investies. Or, le rapport annuel de son partenaire BioNTech révèle que cet investissement ne dépasse par le milliard d’euros et qu’il est financé en réalité pour près de 500 millions par des aides européennes de Bruxelles et de Berlin.
Covid-19 : lever les brevets sur les vaccins, l’idée qui divise le monde
— Le Parisien Economie (@LeParisien_Eco) April 20, 2021
➡️ https://t.co/Za9qQH1Ui5 pic.twitter.com/nJBFYHRUTr
Les États se retrouvent aujourd’hui dans l’obligation paradoxale de débourser des milliards dans l’achat de vaccins dont la création résulte, en grande partie, de leurs investissements passés dans la recherche.
Pfizer aura, quoi qu’il en soit, bien rattrapé ses investissements puisque le groupe prévoit d’engranger, pour la seule année 2021, 15 milliards de dollars de bénéfices. Une somme qui évidemment ne prend pas en compte les futurs contrats et la livraison des prochaines doses, de même que les rappels vaccinaux. Un chiffre sous-évalué, selon L’Humanité qui table sur des profits (déjà réalisés) quatre fois supérieurs à ceux annoncés. Le commissaire européen Thierry Breton peut s’en féliciter.