«La politique de carte blanche à l’Arabie saoudite est finie», prévient au micro de Sputnik Thierry Coville, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).
Selon le chercheur, c’est la raison principale qui explique la reprise de contacts directs entre l’Arabie saoudite et l’Iran, quatre ans après la rupture des liens diplomatiques.
Une rencontre entre des responsables iraniens et saoudiens ayant eu lieu dans la capitale irakienne le 9 avril, selon les sources du Financial Times: «Les premiers discussions politiques importantes» depuis 2016 par l’intermédiaire du Premier ministre irakien Mustafa al-Kazimi. Pourquoi en Irak? Les deux puissances y ont des intérêts stratégiques, comme le fait remarquer le quotidien britannique. Il est à noter que, côté saoudien, on nie officiellement avoir participé à des échanges censés rester secrets…
«Joe Biden a envoyé des messages assez sérieux à Riyad»
Les discussions auraient été facilitées par ce même Mustafa al-Kazimi, qui s’était rendu en Arabie saoudite fin mars et y avait signé près de 3 milliards de dollars d’investissements saoudiens en Irak.
Selon le Financial Times, lors des pourparlers avec les Iraniens la délégation saoudienne était menée par le chef du renseignement Khalid bin Ali al-Humaidan, symbole de l’importance des discussions en question.
Une rencontre qu’il faut analyser, selon Thierry Coville, à la lumière des négociations sur le nucléaire iranien et du changement de politique américaine vis-à-vis de Riyad.
Aussi, «Joe Biden souhaite réellement revenir dans l’accord de Vienne. Les États-Unis ont montré qu’ils étaient sérieux dans leur volonté. On entend d’ailleurs dire que les négociations à Vienne se déroulent plutôt bien, hormis ce qu’il s’est passé à Natanz [sabotage d’une usine d’enrichissement d’uranium iranienne, ndlr].»
D’après le spécialiste de l’Iran, Riyad essayerait de rester dans les bonnes grâces de Washington en épousant sa démarche et en calmant le jeu dans la rivalité régionale.
🇮🇷🇸🇦Si l'#Arabiesaoudite et l'#Iran avaient rompu leurs liens #diplomatiques en 2016, aujourd'hui, un réchauffement a lieu en #Irak avec en toile de fond les #ÉtatsUnis de #JoeBiden et l'accord sur le #nucléaireiranien de 2015. @RFIhttps://t.co/gkcGPAto0L
— Institut iReMMO (@IiReMMO) April 19, 2021
Récemment, «Joe Biden a envoyé des messages assez sérieux à Riyad», rappelle notre intervenant. Depuis sa prise de pouvoir, l’hôte de la Maison-Blanche a laissé entendre qu’il ne passerait plus par le prince héritier saoudien et chef d’État de fait, Mohammed ben Salmane (MBS), pour traiter des relations bilatérales, mais par son père, le roi Salmane. Le Président américain reproche en particulier à MBS son implication dans l’assassinat du journaliste et opposant Jamal Khashoggi, ainsi que la «guerre sale» qu’il conduit au Yémen.
Manoeuvre iranienne
La variable washingtonienne serait donc centrale. Thierry Coville estime pourtant que c’est aussi la stratégie adoptée récemment par Téhéran qui a permis cette rencontre inconcevable il y a encore quelques mois:
«L’Iran a montré une volonté de discussion avec l’Arabie saoudite et les autres pays du Golfe. Ils sont même prêts à discuter d’un accord de sécurité régionale», explique-t-il en référence aux déclarations du ministre des Affaires étrangères iranien, Djavad Zarif, qui invitait ses partenaires du Golfe à se parler directement au nom de leur proximité religieuse, culturelle et géographique.
Il y a toutefois une prérogative essentielle à cette volonté diplomatique iranienne, «ils ne veulent pas d’intervention des pouvoirs occidentaux, ni même d’autres puissances, dans ces discussions!», prévient Thierry Coville.
«La partie la plus diplomate de l’Iran sent que c’est le moment de lancer cette ouverture vers l’Arabie saoudite, mais c’est aussi un message envoyé aux Américains. L’Iran dit "ne nous mettez pas la pression pour conclure un accord de politique régionale, on est capable de le faire nous-mêmes"», avance le cherceur.
Guerre au Yémen
Il semblerait qu’il y a la place pour de réelles avancées diplomatiques. Notamment sur le dossier yéménite.
«Le dossier le plus urgent est le Yémen. S’il devait y avoir un accord entre les deux puissances, ça commencerait sans doute par là. Pour la Syrie et l’Irak, les choses me semblent bien plus compliquées», estime Thierry Coville.
Cela dit, «les États-Unis ne sont toujours pas revenus dans l’accord de 2015, et ça change tout. Dans le cas où on aurait un accord, ça change énormément de choses sur le plan international et surtout régional. Les plus modérés en Iran arriveraient sans doute à convaincre le guide Khamenei de discuter sérieusement avec Riyad dans un cadre exclusivement régional», conclut Thierry Coville.
Avant d’envisager quelconque baisse de tensions entre les deux puissances régionales rivales, tous les yeux sont donc tournés vers Vienne, où se négocie le potentiel retour américain dans l’accord.