Conflit territorial avec la Chine, achats d’armements: comment l’Inde se rapproche de l’Occident

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Face à la Chine considérée par l’Inde comme une «menace» dans l’Himalaya, New Delhi se rapproche de plus en plus des positions occidentales dans l’Indo-Pacifique. La visite de Jean-Yves Le Drian en Inde du 13 au 15 avril correspondait notamment à cet objectif, selon le général Alain Lamballe, spécialiste de l’Asie du Sud.

Après la visite du ministre américain de la Défense en mars, celle de Sergueï Lavrov –le ministre russe des Affaires étrangères– le 6 avril, c’était au tour de Jean-Yves Le Drian –le chef de la diplomatie française– de se rendre cette semaine en Inde. Coopération spatiale, lutte contre le changement climatique… De cette venue du locataire du Quai d’Orsay durant trois jours, certains médias n’auront retenu que ces aspects. Pourtant, celui-ci a longuement échangé le 14 avril avec ses homologues indien et australien, renforçant les relations trilatérales dans l’Indo-Pacifique, avec la Chine dans le collimateur.

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Les Chinois «estiment que le Quad est dirigé contre eux»

La semaine précédente, la France organisait déjà l’exercice naval «La Pérouse» dans le golfe du Bengale, aux côtés des marines australienne, indienne, japonaise et américaine. Également très impliqués dans l’Indo-Pacifique avec 375.000 militaires et personnel civil, les États-Unis ont annoncé vouloir augmenter rapidement leurs effectifs à la suite du retrait des troupes américaines d’Afghanistan. Si «l’Inde refuse toujours» les alliances, le général Alain Lamballe, spécialiste de l’Asie du Sud, observe «effectivement un développement des relations militaires», notamment au sein du Quadrilateral Security Dialogue (Quad), l’instance de dialogue réunissant New Delhi, Washington, Canberra et Tokyo.

«Il y a bien sûr une connotation antichinoise dans ce genre de discussions. Les Chinois le soulignent d’ailleurs, ils estiment que le Quad est dirigé contre eux», constate le spécialiste.

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Le 14 avril, l’ambassadeur de Russie à New Delhi, Nikolay Kudashev, présentait d’ailleurs à Subrahmanyam Jaishankar, le ministre indien des Affaires étrangères, les «dangers d’une stratégie Indo-Pacifique occidentale visant au retour d’une mentalité de guerre froide». Car l’armée indienne est déjà confrontée aux troupes chinoises dans l’Himalaya où les «affrontements se poursuivent de manière feutrée», comme le rappelle le général Lamballe. Sur le toit du monde, 100.000 soldats seraient postés des deux côtés de la frontière.

«L’Inde cherche à développer ses relations pour faire face aux menaces qui la guettent. Il y a incontestablement une poussée chinoise qui s’est précisée au cours des derniers mois dans l’Himalaya. Par ailleurs, on connaît la position de la Chine en mer de Chine méridionale», tente d’expliquer le général.

Le développement de ces relations avec la Corée du Sud, le Japon, Taïwan, les Philippines, l’Australie, la France et les États-Unis inquiéterait lourdement l’Empire du Milieu. En faisant référence à la réunion du Quad début mars, Zhao Lijian, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, a estimé que la coopération entre États ne devrait «pas viser un tiers pays». ​«Endiguer la Chine est mission impossible et revient à se tirer une balle dans le pied», avertissait également en janvier le ministère chinois de la Défense à l’adresse des États-Unis.

Sergueï Lavrov affirmait en décembre que l’Occident «tente d’entraîner» l’Inde «dans les jeux antichinois», une déclaration qui a fait réagir le porte-parole du ministère indien des Affaires étrangères, Anurag Srivastava: «Les relations de l’Inde avec chaque pays ne dépendent pas de ses relations avec des États tiers. Nous espérons que tous nos partenaires le comprennent et l’acceptent avec respect». L’ancien ambassadeur indien à Moscou, Kanwal Sibal, s’est exprimé plus franchement en évoquant «une situation où les Chinois nous menacent et s’assoient à notre frontière».

Les achats d’armements de l’Inde

Nonobstant, la visite de Jean-Yves Le Drian chez le partenaire stratégique indien poursuivait un objectif supplémentaire: les ventes d’armements. Entre 2014 et 2019, l’Inde était le deuxième importateur d’armes au monde après l’Arabie saoudite, notamment parce que son complexe militaro-industriel n’est «pas assez solide». Ainsi, Alain Lamballe rappelle les 36 Rafale achetés à la France en 2016, dont 24 ont déjà été réceptionnés, mais aussi la livraison des sous-marins Scorpène. Et New Delhi ne devrait pas s’arrêter là. Accusant un «déficit très important» d’aéronefs, l’Inde a lancé d’autres appels d’offres et souhaite particulièrement s’équiper de plus de 150 nouveaux chasseurs et bombardiers, relate Le Monde. «Cela pourrait être des Rafale» à nouveau, même si les «Rafale papers» ont récemment terni les intermédiaires de Dassault. Les F-18 états-uniens sont aussi dans la course. Les ventes d’armes américaines à l’Inde sont ainsi passées d’un milliard de dollars en 2008 à 19 milliards en 2019.

​Si la stratégie sur l’Indo-Pacifique diverge entre New Delhi et Moscou, l’Inde et la Russie sont «des alliés de longue date». Longtemps exportatrice majeure d’armements dans le pays, la Russie reste également très présente avec le dossier des S-400, «ce système de missiles très sophistiqués» que New Delhi souhaite acquérir pour un montant de 5,4 milliards de dollars «malgré les réticences américaines», comme le rappelle le général français. À l’instar de la Turquie, les États-Unis menacent de sanctions en vertu du CAATSA (Countering America's Adversaries Through Sanctions Act) leur nouveau partenaire mais «l’Inde continue les négociations avec la Russie». Selon le média The Hindu, la première livraison de S-400 devrait même s’effectuer au mois de novembre.

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Mais cela sera-t-il suffisant? Le budget de l’armée populaire de libération, c’est-à-dire l’armée chinoise, représentait 261 milliards de dollars en 2019, le deuxième du monde après celui des États-Unis, contre «seulement» 71,1 milliards de dollars pour les forces indiennes qui ont opéré une réorganisation. Clairement, l’Inde accuse un retard considérable sur le plan logistique, des effectifs et des armements. Compte tenu de ses «énormes besoins, l’armée indienne ne dépense pas beaucoup», en y consacrant moins de 2% de son PIB.

«Il y a au Tibet des forces armées chinoises fort bien équipées. C’est nettement moins le cas en Inde. Dans le domaine des infrastructures également, il y a côté chinois des routes, des lignes de chemin de fer qui vont jusqu’à la frontière. En Inde, les infrastructures laissent encore à désirer», conclut le général.
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