«Je le dis et le redis: je déplore profondément ce qui s'est produit», a répondu le président du Conseil européen Charles Michel à un groupe de journaux européens, dont Les Échos, lors d’un entretien qu’il leur a accordé le 9 avril.
«Je ne vous le cache pas, je ne dors pas bien depuis. J’ai refait 150 fois le film dans ma tête.»
Et d’expliquer «que si j’avais alors eu une réaction plus marquée, cela aurait donné lieu à un incident non plus protocolaire mais diplomatique qui aurait détruit des mois de travail intense et d’espoir de pouvoir réengager un dialogue nécessaire avec la Turquie».
«En outre, Ursula a exprimé sa désapprobation sur le moment. J’ai pensé que cela aurait été vu comme du paternalisme déplacé si j’avais posé un acte additionnel», a encore ajouté l’ancien Premier ministre belge.
Pas de tensions entre les deux responsables européens?
Il a également partiellement fait peser la responsabilité de l’incident sur le protocole turc: «Une interprétation trop stricte du protocole par les services turcs a mené à ce regrettable incident.»
Quant à l’hypothèse de ses relations tendues avec Ursula von der Leyen, M.Michel a affirmé avoir beaucoup travaillé avec elle et «pris beaucoup de décisions fondamentales et difficiles».
«Sur le fond, nous sommes d'accord sur tous les sujets, économiques, géopolitiques, sanitaires… Je ne suis pas un homme de conflit, je recherche toujours des compromis. Je jette constamment des ponts entre les personnes et les institutions.»
Ce qui s’est passé à Ankara
Lors d’une réunion des présidents des institutions de l’UE avec le Président turc le 6 avril, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a été placée par le protocole en retrait sur un canapé. Le lendemain, Mme von der Leyen a fait connaître son mécontentement et a exigé d’être traitée comme l’égale du président du Conseil.
"Ehm" is the new term for "that’s not how EU-Turkey relationship should be". #GiveHerASeat #EU #Turkey #womensrights pic.twitter.com/vGVFutDu0S
— Sergey Lagodinsky (@SLagodinsky) April 6, 2021
Baptisée Sofagate, l’affaire, survenue de surcroît quelques semaines après le retrait d’Ankara d’une convention européenne sur la prévention de la violence contre les femmes, a suscité de vives réactions de colère en Europe.
La Turquie a condamné le 8 avril des «accusations injustes», affirmant que la disposition des fauteuils lors de la rencontre avait été suggérée par la partie européenne.
Des tensions
Les relations avec la Turquie ont en effet connu une année de tensions et les Européens souhaitent désormais les normaliser tout en demandant à Recep Tayyip Erdogan des actes, notamment le règlement de ses contentieux avec la Grèce et Chypre, le retrait de Libye et le respect des droits fondamentaux dans son pays.
«Les enjeux sont très importants. En mer Méditerranée, nous sommes passés proches ces derniers mois d'incidents militaires graves», a entre autres noté Charles Michel dans son interview. Cependant, il a jugé les démarches déjà accomplies d'encourageantes. «Nos efforts diplomatiques dans la région commencent à payer. […] Le ministre des Affaires étrangères grec va aussi se rendre en Turquie. Les entretiens directs reprennent».
En mer Méditerranée, la Turquie et la Grèce sont en conflit depuis la signature d'un accord maritime entre Athènes et Le Caire, à laquelle Ankara a réagi en relançant la prospection d'hydrocarbures dans une zone disputée de la Méditerranée orientale. La Turquie a multiplié les forages au large de Chypre, des activités jugées «illégales» par la plupart des pays de la région et l'Union européenne. La France a soutenu la Grèce en renforçant ses effectifs dans la région.
Avec la France, les rapports se sont déteriorés après l'assassinat de Samuel Paty, en octobre 2020, décapité pour avoir montré en classe des caricatures de Mahomet. Emmanuel Macron a déclaré que la France ne renoncerait pas à la publication de tels dessins, suscitant une vague d'accusations réciproques entre Ankara et Paris.