Pesticides et maladie de Parkinson au Québec: «Les multinationales ont une responsabilité morale»

CC BY 2.0 / CGP Grey / Affiche Alerte aux pesticides
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Le gouvernement québécois a reconnu la maladie de Parkison comme une maladie professionnelle. Une victoire pour de nombreux travailleurs ayant développé cette pathologie au contact de pesticides. Selon Francesca Cicchetti, neurologue à l’Université Laval, il reste beaucoup à faire pour prévenir ce risque chimique. Entrevue.

Cela a été un jour historique pour les travailleurs ayant contracté la maladie de Parkinson en répandant des pesticides. Fin mars dernier, le gouvernement québécois a ajouté cette affection à la liste des maladies pouvant être contractées dans un cadre professionnel.

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Le ministre provincial du Travail, Jean Boulet, a amendé le projet de loi 59 pour inverser la charge de la preuve. Ainsi, il incombera dorénavant à l’employeur d’établir que le problème de santé de son salarié n’est pas lié à son milieu de travail. Les travailleurs parkinsoniens devront toutefois démontrer qu'ils ont été exposés au moins dix ans aux produits incriminés.

La balle est dans le camp des victimes

Professeur au département de psychiatrie et de neurosciences de la faculté de médecine de l’Université Laval à Québec, Francesca Cicchetti appuie entièrement la décision du gouvernement Legault. En septembre 2019, l’enseignante avait siégé au sein de la commission parlementaire de l’Assemblée nationale du Québec sur les impacts des pesticides sur la santé publique et l’environnement. À cette occasion, Parkinson Québec –fondation au nom de laquelle elle s’exprimait– avait recommandé au pouvoir provincial d’interdire les pesticides «dont les niveaux de toxicité sont accablants». Commercialisé par la société suisse Syngenta, l’herbicide paraquat fait partie des substances les plus souvent dénoncées comme dangereuses.

«Comme chercheur fondamental, avec mon équipe, je mène, entre autres, des recherches sur des animaux pour développer des traitements. Le lien entre les pesticides et la maladie de Parkinson est tellement corroboré que nous nous servons de ces agents pour produire et générer des modèles qui ressemblent à cette maladie humaine», explique la neurologue à notre micro.

La liste des maladies professionnelles reconnues par l’État québécois n’avait pas changé d’une ligne depuis 1985. En y ajoutant le syndrome de Parkinson, le Québec a suivi l’exemple de la Suède et de la France.

«Ça change ma vie! Savoir que je suis reconnu me donne de l'espoir», a confié à Radio-Canada Serge Boily, un ex-applicateur de pesticides maintenant aux prises avec cette terrible affection dégénérative.

Francesca Cicchetti se réjouit de la décision pour les victimes, mais invite toutefois à la prudence avant de crier victoire. Elle rappelle que «toute la société reste touchée» par l’utilisation de pesticides. Ces produits peuvent aussi entraîner des difficultés respiratoires, des tumeurs, des cancers…

Les pesticides dans votre assiette peuvent aussi causer des maladies

Consommées à travers divers aliments, les substances chimiques liées à l’agriculture intensive présentent en outre des dangers pour les personnes affectées d’une plus grande «vulnérabilité génétique».

«C’est un grand pas, mais il reste à voir si les autres provinces canadiennes vont suivre. [...] Par ailleurs, ce ne sont pas seulement les agriculteurs qui sont touchés. C’est vraiment un choix de société qu’il reste à faire. Allons-nous continuer avec une agriculture de masse nécessitant des pesticides, ou nous tourner davantage vers des modes de production biologiques?», demande l’universitaire.

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Le docteur Francesca Cicchetti rappelle que le Québec a été l’un des précurseurs dans l’étude des liens entre les pesticides et la maladie de Parkinson. Dans les années 1980, le neurologue André Barbeau a été l’un des tout premiers à observer une prévalence accrue de la maladie dans les régions de Trois-Rivières et de Saint-Hyacinthe, où de nombreux produits chimiques sont épandus dans les champs.

Si les employeurs doivent être conscients des risques encourus par leurs salariés, les consommateurs et les fabricants ont également une part de responsabilité, estime Francesca Cicchetti:

«Dans une certaine mesure, nous avons besoin de la culture de masse pour nourrir toutes les bouches, mais le consommateur a aussi un rôle à jouer. On exige de la qualité et des produits parfaits sur le plan esthétique. Par exemple, on ne consomme pas les fruits et légumes abîmés. [...] Quant aux multinationales, elles ont une responsabilité morale. Peu d’entre elles ont donné les instructions adéquates aux travailleurs pour réduire les risques liés à l'usage des pesticides», déplore notre interlocutrice.
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