«Qui voudrait rester dans un pays comme le Liban? Il n’y a plus rien. Même les chiens vivent mieux que nous», se désole Firas au micro de Sputnik.
Au Liban, la crise économique est sur le point de faire déborder le vase. Contrée d’accueil, le pays du Cèdre se transforme à nouveau en terre d’émigration. Les derniers chiffres montrent que les départs s’accumulent: depuis 2018, le nombre d’émigrants a quadruplé.
🇱🇧 Terre d’émigration, le Liban connaît une nouvelle vague de départs en raison de la crise économique que traverse le pays, la pire depuis des décennies. https://t.co/sDjzDmYt0U
— Courrier inter (@courrierinter) April 7, 2021
Le quotidien libanais Al-Modon décrit un phénomène de grande ampleur: «les chiffres montrent que la vague d’émigration actuelle est la plus importante depuis les années 1970, soit après celle ayant suivi le déclenchement de la guerre civile (1975-1990).» En effet, sur fond de crise économique et politique, de plus en plus de Libanais évoquent la possibilité de quitter le pays. «La situation aujourd’hui ne nous laisse pas le choix», témoigne Firas, qui vient tout juste d’empocher un master en marketing.
«Le seul point positif dans cette crise, c’est que nous sommes tous logés à la même enseigne. Ce n’est pas confessionnel, c’est national. Chaque famille, chrétienne ou musulmane galère pour se nourrir», souligne le jeune libanais.
L’économie libanaise est littéralement exsangue. «Chaque semaine le peuple descend d’un palier», rapportait l’analyste Najib Fayad. Assurément, tout le pays s’effondre: la livre libanaise a dégringolé à 13.000 pour un dollar au marché noir, plus de 50% de la population est au chômage et le salaire minimum a perdu 84% de sa valeur. «On veut vivre comme à Paris ou à Londres, mais on a ni eau ni électricité, le Liban est un pays du tiers-monde», constate Firas avec amertume. Selon les indicateurs économiques, le salaire minimum libanais est désormais inférieur à ceux du Bangladesh et des Philippines. Résultat, cet enchaînement de crises socio-économiques a pour conséquence l’émigration d’une partie de la société civile libanaise.
14 millions de Libanais vivent déjà à l’étranger
Le phénomène d’émigration libanaise, pourtant peu connu jusqu’alors, est en pleine augmentation depuis l’explosion du port de Beyrouth le 4 août dernier. Cette catastrophe a en effet entraîné la destruction de plusieurs quartiers de la capitale et bon nombre d’habitants ont alors décidé de quitter le pays. On dénombre en effet 45.000 départs dans les mois qui ont suivi le drame. «Dans chaque famille, le sujet d’un départ est abordé», relate le jeune Firas.
«Nombreux sont les jeunes comme moi, diplômés, sans travail, vivant chez leurs parents. Je ne souhaite qu’une chose, c’est de pouvoir aider mon père pour ramener de l’argent à la maison. Mais il est même impossible de trouver un petit job. Donc automatiquement, se pose la question d’un départ», explique-t-il.
En effet, estime-t-il «seuls les riches peuvent partir, les autres sont voués à rester.» Pourtant, même des familles parmi les plus démunies tentent de rejoindre les côtes chypriotes sur des embarcations de fortune. Les garde-côtes libanais essayent cependant d’empêcher, tant bien que mal, cette migration clandestine. Un combat sans doute perdu d’avance: «ce phénomène est voué à durer tant qu’il n’y aura pas d’amélioration des conditions de vie», pense Firas.
Des hôpitaux en manque de personnel
Pour ceux qui en ont les moyens, le dilemme ne dure jamais longtemps. Le choix de l’expatriation est rapidement fait, d’autant plus qu’ils ont généralement «des proches à l’étranger».
Mais le problème sous-jacent à cette émigration est la fuite des cerveaux. «Si les diplômés ont une opportunité à l’étranger, bien évidemment qu’ils l’acceptent, la question ne se pose même pas», nous explique Firas. En effet, en raison de l’effondrement économique, de nombreux médecins et infirmières quittent le pays. Ainsi plusieurs hôpitaux viennent-ils à manquer cruellement de personnel.
Pays refuge pour les minorités ou les déplacés, le Liban semble devenir lui-même un pays d’émigration: «c’est un comble […] après avoir accueilli la misère de la région, notre pays est lui-même synonyme de misère», s’énerve le jeune libanais.
Syriens, Irakiens, Kurdes et Palestiniens au Liban
En effet, depuis le début de la crise syrienne en 2011, le Liban a accueilli jusqu’à deux millions de réfugiés, soit pratiquement un tiers de sa population. Bien qu’il soit difficile d’obtenir un recensement précis, on estime aujourd’hui leur présence à environ 1,5 million. Par le passé, le Liban avait également accueilli des Irakiens, des Kurdes et des Palestiniens. Ainsi, en fonction de la conjoncture le pays du Cèdre subissait les bouleversements régionaux.
«Je n’ai rien contre mes frères syriens, mais aujourd’hui on a l’impression de se sentir réfugié dans notre propre pays. Ils vivent quasiment mieux que nous, ils reçoivent des aides», constate Firas, désespéré.
Le 30 mars dernier, l’Union européenne a organisé une réunion à Bruxelles pour venir en aide à la Syrie et aux réfugiés syriens. Même si le montant souhaité n’a pas été atteint, la conférence a permis de récolter pas moins de cinq milliards de dollars pour assister les pays d’accueils (Jordanie, Turquie, Liban) dans la gestion des réfugiés. Les Libanais, eux, semblent bien démunis.
«Le peuple meurt de faim, on se bat pour du lait dans les supermarchés, nos politiques sont divisés et nos voisins nous tournent le dos. Le Liban est comme un bateau qui coule et plusieurs Libanais quittent le navire avant qu’il ne soit trop tard», conclut le jeune libanais en plein désarroi.