Volodymyr Zelensky, Président de l’Ukraine, a appelé le 6 avril l’Otan à accélérer le processus d’adhésion de l’Ukraine à l’Alliance. Et ce pour envoyer un «vrai signal» à la Russie. Pourtant, Moscou a répété à maintes reprises sa non-ingérence dans le conflit interne à l’Ukraine, se bornant à presser Kiev d’y mettre un terme. Quel «signal» donc? Une adhésion de Kiev à l’Otan est clairement perçue par Moscou comme une ligne rouge. Le porte-parole du Kremlin mettait en garde récemment contre la présence de militaires américains en Ukraine. Une intervention qui forcerait la Russie à prendre des mesures supplémentaires pour assurer sa sécurité. Un scénario donc qui n’aboutirait qu’à l’escalade près des frontières russes.
Signe de cette escalade, les agents de l’OSCE rapportent le cas d’un enfant de cinq ans tué le 2 avril devant la maison de sa grand-mère par un engin explosif. Selon les autorités de la RPD ce drame résulte du pilonnage par l’armée ukrainienne d’un village proche de la ligne de contact. Suite à cette tragédie, Moscou a attiré l’attention des médias occidentaux sur le nombre élevé de victimes mineures dans un conflit souvent négligé.
La situation est «très tendue» dans le Donbass, selon Nikola Mirkovic. Par l’intermédiaire de l’ONG Ouest-Est, il vient en aide aux victimes de la guerre dans le Donbass. Il regrette le traitement «biaisé» de la situation par les médias occidentaux. «C’est suite à l’arrivée de troupes ukrainiennes et de leur artillerie lourde, pourtant interdite par les accords de Minsk II», que la Russie a mobilisé des forces sur son propre territoire à la frontière avec l’Ukraine ainsi qu’en Crimée. Une démarche logique, d’après notre interlocuteur, face à une menace extérieure.
L’Ukraine dans l’Otan, ou le piège de l’article 5
Nikola Mirkovic s’inquiète du poids que prennent les États-Unis dans ce dossier. La presse française, elle, dépeint la situation comme «un premier bras de fer imposé à l’Administration Biden» par le Kremlin. Tout en se gardant bien de relayer les appels de Moscou aux Occidentaux pour désamorcer les tensions.
«Zelensky, lui, s’entretient avec Biden et Johnson, qui ne sont même pas signataires des accords de Minsk», souligne-t-il. Référence aux entretiens téléphoniques entre le chef de l’État ukrainien et ses homologues américain et britannique, respectivement les 2 et 5 avril.
Pas vraiment compris le lien entre le Donbass, Navalny et le Sputnik V. Sans doute une pensée trop complexe et subtile pour moi.https://t.co/l2SSzSoou8
— Arnaud Dubien (@ArnaudDubien) April 5, 2021
En effet, Washington ne fait pas partie des pourparlers au format «Normandie» menés par Paris et Berlin afin de trouver une issue au conflit qui déchire le Sud-Est ukrainien depuis huit ans. Pourtant, les Américains s’incrustent dans ce dossier tant à travers leur aide diplomatique et financière à Kiev qu’à travers l’armement livré aux forces ukrainiennes.
Souffler sur les braises en Europe ne présente pas de gros risques pour les Américains, «à 8.000 kilomètres de là», tacle Nikola Mirkovic. Le fondateur de Solidarité Kosovo rappelle le danger pour les Européens d’accueillir au sein de l’Otan une Ukraine en proie à la guerre civile. Notamment le risque de voir Kiev invoquer d’emblée le fameux article 5 du traité de l’Atlantique nord. Dépeint par ses propres signataires comme la «pierre angulaire de l’Alliance», cet article n’a été utilisé pour l’heure qu’une seule fois. C’était après les attentats du 11 septembre 2001 à New York. Le texte pousse tous les membres à réagir militairement à une «attaque armée» contre l’un d’eux. «On a l’impression qu’ils ne se rendent pas compte que, si cela dégénère en Ukraine, la France fait partie de l’Otan», regrette Nikola Mirkovic, qui dénonce la couverture médiatique teintée d’inconscience de ces escalades militaires aux confins de l’Europe.
«Si l’Ukraine intègre l’Otan, les Français sont-ils prêts à mourir pour Donetsk et pour que le Donbass soit réintégré dans l’Ukraine? Se sont-ils engagés pour cela? De leur côté, les Russes se battraient pour défendre les russophones», insiste-t-il.
Avec quelques différences toutefois avec les autres guerres des États-Unis en Europe, «il ne s’agit pas d’aller bombarder la Yougoslavie et ses sept millions d’habitants qui ne peuvent pas se défendre, mais de s’en prendre à une puissance nucléaire», met ainsi en garde Nikola Mirkovic.
Kiev caresse depuis plusieurs années le rêve de rejoindre l’Otan. Après avoir renoncé à son statut de pays «non aligné» en 2015 pour se rapprocher de l’Alliance, le Parlement ukrainien avait adopté en 2017 une loi qui érigeait une future adhésion au rang d’«objectif stratégique».
Berlin peut-elle «calmer les ardeurs» de l’État profond américain?
Jusqu’à présent restée lettre morte, suite à «l’arrivée de Trump», Nikola Mirkovic estime cette adhésion plus que probable depuis que l’État profond américain est de nouveau en roue libre avec dans son collimateur Moscou et Pékin. Selon lui, pousser à la guerre Ukrainiens et Russes constituerait une ultime tentative des États-Unis de faire capoter le gazoduc Nord Stream 2. Un geste désespéré pour faire plier l’Allemagne après l’échec des sanctions ou encore la vaine exploitation de l’affaire Navalny.
«Je pense qu’il ne faut pas perdre de vue le gazoduc Nord Stream 2. C’est la raison pour laquelle les Américains poussent l’Ukraine à commettre une faute, à provoquer la Russie. En effet, si le Kremlin est officiellement accusé de mener une guerre à un État européen, ce sera beaucoup plus facile de faire échouer le projet.»
Comme notre interlocuteur tient à le rappeler, le fait d’avoir les Américains «aux manettes» d’un pays –comme c’est le cas en Ukraine depuis 2014– n’est pas gage de réussite ni de transformation économique. «Comme ils n’ont pas réussi à faire du Kosovo un État de droit, comme pour la Bosnie-Herzégovine, comme pour la Macédoine du Nord. Ce sont des pays qu’ils ont inventés, qui vivent sous perfusion financière et avec lesquels l’Union européenne ne veut toujours pas libéraliser le régime des visas vingt ans après la fin de la guerre», souligne-t-il. Et de rappeler les accros aux valeurs occidentales que Kiev multiplie depuis des mois. Par exemple, en faisant fermer les chaînes d’informations d’opposition.
Cela dit, les fermetures de médias «prorusses» n’ont pas vraiment chagriné la presse mainstream tricolore. Bien au contraire.