Les Français, un peuple de «petits cons»? De nouvelles fêtes sauvages suscitent l’indignation

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Photo de jeune fille sur les quais - Sputnik Afrique, 1920, 31.03.2021
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Les rassemblements illégaux sur les quais à Lyon ou dans les parcs de Lille sont au centre des critiques. À l’heure où de nouvelles mesures restrictives sont attendues en raison de la saturation des hôpitaux, la jeunesse fait-elle preuve en France d’une irresponsabilité totale? Éléments de réponse avec la sociologue Sandra Hoibian.

«Rassemblement irresponsable», «comportement égoïste», «très méprisant pour les soignants et ceux qui se battent pour la maladie». Ce sont les mots choisis sur BFMTV par le préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes et du Rhône. Dans le collimateur de Pascal Mailhos, le rassemblement de trois cents personnes sur les quais de Saône à Lyon, ce mardi 30 mars. Musique, alcool et collé-serré, les vidéos diffusées sur la toile témoignent d’une ambiance de fête digne des festivals d’avant l’épidémie. Sans masques et après le couvre-feu, en violation des mesures sanitaires donc.  

​Le même jour, une scène similaire se déroulait à Lille. Dans le jardin Vauban de la cité nordiste, une autre réunion sauvage réunissait quatre centaines de fêtards.

​Pas de quoi toutefois affoler Sandra Hoibian, directrice du pôle société du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Credoc).

«Contrairement à notre réputation de peuple frondeur, il y a en France un très large suivi des règles sanitaires que confirment les études», tempère-t-elle.

La sociologue invite ainsi à relativiser les réactions les plus offusquées. Pointer ces événements pour «accuser tous les jeunes d’être des "petits cons"», c’est mettre injustement, selon elle, «la focale sur une minorité». Et la sociologue de rappeler les chiffres de Santé publique France selon lesquels, en dehors même des périodes de confinement, environ 40% de la population a fait le choix de s’autoconfiner.

Les jeunes au cœur des accusations

La semaine dernière déjà, le carnaval non autorisé organisé à Marseille a soulevé un tsunami de réprobation. 6.500 Phocéens avaient défilé sans égard pour les gestes barrières. Selon le président de la région Paca, Renaud Muselier, le défilé a accéléré la propagation du virus dans la région. Il fonde ses accusations sur le taux de contamination des eaux usées de Marseille avant et après le carnaval.

Pour Sandra Hoibian, il faut garder à l’esprit que, pour ces jeunes, «à la grande lassitude qui dure depuis un an s’ajoute maintenant l’absence de perspectives».

«Ce qui n’était pas le cas au moment du premier confinement, où la sévérité des mesures restrictives était d’autant mieux acceptée qu’on pouvait encore imaginer une sortie de crise relativement rapide, précise-t-elle à notre micro. Ça n’a pas été le cas, ce qui explique ce relatif relâchement chez les jeunes et leur défiance envers la parole publique.»

Depuis le début de la crise sanitaire, l’irresponsabilité des jeunes a plus d’une fois été soulevée par les autorités. Un comportement inconscient et un non-respect des gestes barrières qui auraient des implications sur l’évolution de l’épidémie. En témoignerait le taux d’incidence (le nombre de contaminations répertoriées). Il explose parmi les 0-19 ans. Selon les données du gouvernement de ce lundi 29 mars, le taux d’incidence y dépasse les 350 avec un nombre de cas positifs au-dessus des 8.100. Il monte à 838 chez les 10-19 ans en Île-de-France.

Une irresponsabilité à prouver

Pour notre interlocutrice, cette approche rend surtout compte d’une idéologie déjà très implantée dans la société française. Une idéologie qui se serait accentuée au cours de cette crise. Celle d’un présupposé acquis d’une responsabilité des individus.

Selon cette approche, précise la sociologue, «l’homme a une maîtrise totale de son environnement». Par voie de conséquence, chaque individu serait «en mesure d’agir pour éviter la propagation du virus, d’où les gestes barrières, la distanciation sociale, etc.». 

«On peut aussi considérer d’autres visions du monde, où l’homme n’est pas forcément en totale maîtrise. En l’occurrence lors d’une épidémie, ajoute Sandra Hoibian. Ou bien, par exemple, que la jeunesse doit être sacralisée et primer tout le reste. Cette hiérarchie des valeurs doit être débattue pour donner sens aux choix politiques. Or elle ne l’est pas.»

Depuis le début de la crise sanitaire, il a été plus d’une fois reproché au gouvernement de faire reposer l’état de saturation des hôpitaux sur le non-respect des gestes barrières par la population. D’aucuns ont alors rappelé les choix de politiques publiques et l’impréparation de l’État ces dernières années. Ce qui revient à dénoncer l’incurie du gouvernement en place. En cause, la logique austéritaire de fond qui a profondément fragilisé les services hospitaliers. Un travail de sape qui a abouti à de cruelles difficultés lors des vagues épidémiques successives.

L’homme, un animal fêtard

Non pour laver les jeunes de toute culpabilité, mais pour nuancer «ce climat de suspicion généralisé qui les met au centre des critiques», Sandra Hoibian rappelle le besoin de sociabilité inhérent à l’espèce humaine. Et en particulier chez les jeunes qui vivent ces relations le plus souvent en extérieur.

«Leur confinement n’est pas identique au nôtre, ajoute la directrice du pôle société du Credoc. Ils sont, pour bon nombre d’entre eux, cloîtrés seuls chez eux et dans de petits appartements. Et surtout, à la différence des jeunes adultes ou des personnes âgées, qui ont fait leur lot de rencontres et ont une vie sociale qui peut se passer en intérieur, la sociabilité des plus jeunes se fait maintenant et le plus souvent dehors. Notamment dans les fêtes.»

Nombreux sont les anthropologues et les sociologues, en particulier de la fin du XIXe siècle, à avoir démontré la présence invariante et la profonde utilité des fêtes dans les sociétés: distinguer le quotidien de l’exceptionnel, jalonner la vie de ruptures cathartiques, structurer la vie collective par des rituels communs…

Les regroupements spontanés des derniers jours, non ritualisés et sans codification aucune, font-ils encore partis de la «fête» dans le sens traditionnel du terme? «Ce n’est pas parce que ces fêtes ont été sécularisées avec les siècles qu’elles ne répondent pas à un profond besoin anthropologique», conclut Sandra Hoibian.

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