Après-Covid: La France condamnée à l’austérité et au déclin?

© AFP 2024 PASCAL GUYOTApplication StopCovid
Application StopCovid - Sputnik Afrique, 1920, 23.03.2021
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La France devra-t-elle subir une cure d’austérité pour éponger la dette Covid? C’est ce que recommande le rapport de la commission pour l’avenir des finances publiques. Or, selon deux experts de l’Institut Rousseau, les préconisations du document en question mèneraient au déclin du pays.

Alors qu’un retour à une vie quasi normale est espéré pour la rentrée en France, la question de la dette devient incontournable. La commission pour l’avenir des finances publiques dirigée par Jean Arthuis, ancien ministre de l’Économie de Jacques Chirac, a rendu son rapport à l’exécutif. Un document où figurent des recommandations sur le remboursement de la fameuse dette Covid.

​Problème: les solutions proposées sont loin de faire l’unanimité. Nicolas Dufrêne, haut fonctionnaire, spécialiste des outils de financement publics et directeur de l’Institut Rousseau, ainsi que son collègue et analyste politique Lenny Benbara, viennent de publier une tribune dans L’Obs. Ils s’y montrent très critiques sur le travail de la commission pour l’avenir des finances publiques.

«Retour de l’austérité budgétaire»

Selon les deux experts, qui n’avaient pas répondu aux sollicitations de Sputnik au moment de la rédaction de cet article, le travail de Jean Arthuis et de ses collègues fait office de manuel pour la cure d’austérité à venir:

«Le rapport Arthuis, produit par la commission pour l’avenir des finances publiques, conclut, sans l’assumer, en faveur d’un retour de l’austérité budgétaire sous la forme d’une baisse de la dépense publique.»

Officiellement, Jean Arthuis explique dans des propos rapportés par Le Monde que la mission de l’aréopage qu’il a cornaqué était «d’éclairer la trajectoire des finances publiques au lendemain de la crise Covid et de proposer des modifications de la gouvernance budgétaire». «Je tenais à un texte non partisan», ajoute-t-il. Reste que les recommandations formulées par sa commission ne fleurent pas l’approche keynésienne.

Symbole de l'euro à Francfort-sur-le-Main - Sputnik Afrique, 1920, 27.11.2020
La solution ne repose pas sur l’annulation de la «dette-Covid» des États, selon Les Échos

Ses membres viennent d’horizons divers. Augustin de Romanet préside aux destinées d’ADP. L’économiste Hélène Rey enseigne à la London Business School. Marisol Touraine a été ministre de la Santé sous François Hollande. À leurs côtés a siégé, entre autres, l’économiste américano-autrichien Thomas Wieser. Tous se sont accordés pour prôner un contrôle draconien des dépenses budgétaires.

Rappelant que la dette publique française est passée de 60% du PIB en 2000 à près de 120% en 2021, la commission dit craindre l’absence «de marge de manœuvre pour relever les défis de demain, comme celui de la transition écologique ou de la survenance d’une prochaine crise». Un argument balayé par Nicolas Dufrêne et Lenny Benbara: «Ce n’est pas la politique de réduction des dépenses qui nous a offert des marges de manœuvre, mais les interventions successives de la BCE pour maintenir un contexte de taux réels négatifs.»

Les deux experts font ici référence à la politique monétaire ultra accommodante mise en place par la BCE afin d’endiguer la crise. En plus du maintien de taux d’intérêt historiquement bas, l’institution dirigée par Christine Lagarde a mis en place un programme de rachats d'actifs d'urgence lié à la pandémie (PEPP) d’un montant de 1.850 milliards de dollars.

​Nicolas Dufrêne et Lenny Benbara notent également que le risque de voir «l’écart entre les ratios d’endettement rapporté au PIB entre les pays européens» menacer la France d’une remontée des taux obligataires a été «quasiment annulé» par la politique monétaire de la BCE, qui s’est notamment donné «plus de flexibilité dans son usage de la clé de répartition des rachats de dettes publiques».

«Les arbres ne montent pas jusqu’au ciel»

Reste que le cénacle présidé par Jean Arthuis juge l’état des finances publiques françaises préoccupant. Le «quoi qu’il en coûte» adopté par Emmanuel Macron pour faire face à la crise n’y est pas étranger. «Entre les pertes de recettes et les dépenses que nous avons engagées pour faire face à la crise, que ce soit pour l'État en termes de dépenses, pour la Sécurité sociale en termes de pertes de recettes liées à la baisse de l'activité, le coût [...] peut être estimé autour de 160 à 170 milliards d'euros», lançait récemment devant les sénateurs le ministre délégué aux Comptes publics, Olivier Dussopt.

​Ce dernier a prévenu que de nouvelles dépenses liées à la crise seront engagées en 2021. Plusieurs secteurs, tels que la restauration, l’événementiel ou la culture, sont toujours quasi à l’arrêt et le reconfinement de seize départements, instauré le 18 mars, a entraîné la fermeture d’environ 90.000 commerces. Mais l’exécutif a prévenu: le soutien financier ne pourra pas durer indéfiniment. Un conseiller du Premier ministre confiait récemment à Europe 1 que le gouvernement travaille «au débranchement progressif des aides».

«La commission a été installée pour dire cela. Elle fait office de corde de rappel en fin de mandat: les arbres ne montent pas jusqu’au ciel», déclare un membre de ladite commission au journal Le Monde.

La France devrait se retrouver au régime sec pour les prochaines années afin de redresser la barre, selon Jean Arthuis et ses collègues. Plusieurs de leurs propositions vont dans ce sens: «définir en loi organique un cadre pluriannuel de dépenses publiques au début de chaque mandature», «fixer spécifiquement un plancher pluriannuel de dépenses d’avenir», «se doter d’un objectif indicatif de dépenses de protection sociale» ou encore «créer une institution budgétaire indépendante chargée d’éclairer le Parlement et le grand public sur l’avenir des finances publiques».

​Dans L’Obs, Nicolas Dufrêne et Lenny Benbara ne mâchent pas leurs mots: «La position de la commission ne tient pas.» Ils reprochent également aux experts mandatés par le gouvernement d’écarter «avec légèreté les propositions réalistes que sont l’annulation des dettes publiques détenues par la BCE ou leur transformation en dettes perpétuelles».

Débat houleux sur l’annulation de la dette

Le débat sur l’annulation de tout ou partie de la dette Covid auprès de la BCE fait rage. Il a provoqué une première passe d’armes à l’Assemblée nationale le 22 mars. Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie, et Olivier Dussopt martelaient depuis des semaines qu’il faudrait tout rembourser. Le député PCF Fabien Roussel leur a opposé l’annulation de la dette Covid détenue par la BCE: «Vous nous dites qu'il faudra la payer, cette dette, et avec des réformes dures, comme la réforme des retraites que vous préparez déjà. Vous préparez les Français à un énième discours sur la réduction des dépenses publiques.»

​Jean-Luc Mélenchon lui a emboîté le pas, affirmant que le remboursement de la dette était invoqué «pour imposer des politiques d'austérité». Sans surprise, dans le camp d’en face, on a hurlé à l’irresponsabilité. L’élu LREM Alexandre Holroyd a qualifié le non-remboursement de la dette auprès de la BCE d’«illégal», «inutile» et «ruineux». Quant à Agnès Thill, membre du groupe UDI et Indépendants, elle a repris les termes du rapport Arthuis en parlant d’«une erreur grave».    

«Au-delà des questions techniques, qui n’empêchent aucunement ce type de mesure de bon sens, le rapport Arthuis signe avant tout un renoncement politique et intellectuel», répliquent Nicolas Dufrêne et Lenny Benbara.

Les deux experts regrettent que l’UE reproduise «les erreurs du passé sur le front budgétaire». Ils soulignent qu’elle souffre de la comparaison avec la Chine qui a choisi une tout autre stratégie. D’après les deux membres de l’Institut Rousseau, Pékin «s’affirme comme superpuissance reposant sur un puissant réseau de banques publiques adossées à la Banque centrale, elle-même sous contrôle politique».

​Ils louent également le choix opéré par les États-Unis. Washington a mis 1.900 milliards de dollars sur la table par le biais d’un gigantesque plan de relance. Ce coup de boost a déjà profité à 280 millions d’Américains qui ont reçu de l’argent du gouvernement fédéral. De quoi faire rebondir l’économie US au-delà des espérances? La Fed mise désormais sur une croissance de 6,5% aux États-Unis.

Nicolas Dufrêne et Lenny Benbara estiment que, en 2008, c’est l’impulsion budgétaire qui avait permis aux États-Unis «de sortir vite et fort de la crise qu’ils avaient provoquée». Un pari audacieux qui semble bien effaroucher Jean Arthuis et les siens.

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