Fabriqué de la main de l’homme, échappé d’un labo, propagé par un animal? Plus d’un an après le début de l’épidémie qui a secoué la planète entière et fait plus de deux millions de morts, les interrogations demeurent sur l’apparition du coronavirus. Au mois de janvier 2021, Pékin acceptait la venue à Wuhan, foyer initial de l’épidémie, d’une équipe d’experts de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour faire la lumière sur cette épineuse question.
«Si on ne résout pas cette question avec toute l’objectivité nécessaire, on prend le risque de rejouer des situations similaires dans quelques années. Ce n’est pas du tout une question anecdotique et l’OMS doit avoir les moyens de travailler plus sérieusement sur cette question», confie le virologue Étienne Decroly à notre micro.
Le rapport de l’OMS devrait être divulgué dans les prochains jours. Un mois après ses recherches, le chef de la délégation de l’Organisation des Nations unies a néanmoins évoqué la thèse «la plus probable», à savoir une transmission de virus de l’animal à l’homme. Pourtant, «rien n’est encore démontré», nuance Étienne Decroly.
Le pangolin blanchi
Pour ce chercheur au CNRS, spécialisé en virologie moléculaire, toutes les suppositions doivent être mises sur la paillasse des scientifiques. Selon lui, l’hypothèse zoonotique et l’accident de laboratoire sont aujourd’hui les deux plus probables. Dans la première, on cherche à comprendre les mécanismes de transmission du coronavirus entre les chauves-souris (le réservoir de cette famille de virus) et l’homme. La transmission à l’espèce humaine, qui a permis au virus de circuler d’homme à homme, nécessite de «franchir la barrière d’espèce».
Comment la chauve-souris peut-elle transmettre un virus à l’homme ? 🦇#Ebola #Coronavirus https://t.co/LznmpxDeTU pic.twitter.com/QsCjEoQBNT
— France Inter (@franceinter) February 20, 2020
Les chauves-souris présentes dans le sud de l’Asie hébergent des cousins du SARS-CoV-2, comme le virus RaTG13. Ce virus animal aurait pu muter chez la chauve-souris pour passer chez l’homme et engendrer l’épidémie de Covid-19. Or, ce qui trouble les scientifiques, c’est qu’il existe «une distance génétique» importante entre ce virus animal et le SARS-CoV-2. Ce qui implique l’existence d’un chaînon manquant.
Très longtemps, «on a cru que les virus de chauve-souris ne pouvaient pas se transmettre directement à l’homme», précise Étienne Decroly. L’étape impliquait, le plus souvent, un animal hôte intermédiaire. Le célèbre pangolin a figuré un temps sur le banc des accusés…
«Les scientifiques postulaient qu’il fallait un animal intermédiaire dont les récepteurs du virus se rapprochaient plus de ceux de l’homme. D’où les accusations adressées au pangolin, chez qui des coronavirus de la famille du SARS-CoV-2 ont été identifiés.»
Depuis l’animal a été innocenté, car ces coronavirus sont en fait très éloignés du SARS-CoV-2. Or en 2012, dans une mine chinoise du Yunnan où se trouvaient des chauves-souris, six mineurs auraient pu être contaminés par des coronavirus proches de RaTG13. Le virus animal n’aurait donc pas eu besoin d’un autre animal comme hôte intermédiaire avant de contaminer l’homme. Quoi qu’il en soit, cette version zoonotique est l’une des hypothèses les moins défavorables au gouvernement chinois. L’idée d’une fuite du virus d’un laboratoire de Wuhan l’est évidemment davantage.
Une mystérieuse pneumonie affectant des mineurs en 2012. Une précieuse base de données qui disparaît sans explication. Des expériences de laboratoire controversées… A l’origine de la pandémie de Covid-19, un virus aux sources toujours énigmatiques https://t.co/XBvzOPh41b
— Le Monde (@lemondefr) December 22, 2020
Un virus fabriqué de toutes pièces?
Aussi Pékin continue-t-il de défendre la thèse d’une importation de l’étranger sur le marché de Wuhan de produits surgelés contaminés. Début mars, une trentaine de chercheurs dans une tribune du Monde appelait à «une enquête approfondie et crédible» par les chercheurs de l’OMS envoyés Wuhan. L’inquiétude était la suivante: que cette mission conjointe de l’OMS avec la Chine limite «l’indépendance scientifique» de certains membres de la commission. Pour se prémunir visiblement de toute accusation à la sortie attendue du rapport, Pékin a pris les devants.
Le Pr Liang Wannian, le chef de la délégation de scientifiques chinois, écartait dans son entretien du 17 mars au Global Times l’hypothèse d’une fuite d’un laboratoire de Wuhan. Pour Étienne Decroly, la rigueur scientifique impose néanmoins d’étudier aussi cette hypothèse avec tout le sérieux nécessaire, et ce d’autant que «après un an d’enquête, on n’a pas trouvé de preuve de la transmission par animal intermédiaire.»
«Car ce qui est paradoxal, pour ne pas dire étrange, c’est que la Chine dispose de 60.000 échantillons de la faune sauvage et d’animaux d’élevage, sans pourtant qu’ils n’aient pu, à ce jour, identifier le virus à l’origine de l’épidémie et donc trouver cet hôte intermédiaire», précise-t-il à notre micro.
Une hypothèse qui s’appuie sur l’existence dans le foyer épidémique de Wuhan de plusieurs laboratoires de virologie, connus pour manipuler les coronavirus et séquencer les génomes de virus collectés chez les chauves-souris.
L’accident de laboratoire toujours sur la paillasse
Faut-il aller jusqu’à évoquer un virus créé en laboratoire comme l’avait fait le Pr Montagnier, ouvrant une nouvelle polémique en pleine première vague? Pour notre interlocuteur, les déclarations de l’ancien prix Nobel sont «fantaisistes et ont été réfutées sur base d’analyses génétiques.»
[A dérouler] Une théorie avancée par le professeur français Luc Montagnier, co-découvreur du virus du sida, selon laquelle le nouveau coronavirus serait issu d'un accident de laboratoire, a été vivement contestée aujourd’hui par la communauté scientifique #AFP pic.twitter.com/4gPosPtmrx
— Agence France-Presse (@afpfr) April 17, 2020
Pour autant, la fuite accidentelle de virus étudiés en laboratoire ne saurait être écartée d’un revers de la main: les précédents existent. «Le SARS-CoV qui a émergé en 2003 est sorti au moins quatre fois de laboratoires lors d’expérimentations», rappelait ainsi Étienne Decroly en novembre dernier.
«Dans les deux cas, par transmission animale ou accident en laboratoire, ce sont des virus qui existent dans la nature, précise Étienne Decroly. Seul le chemin pour arriver est différent. Dans un cas, il est passé d’hôte en hôte jusqu’à l’homme, dans l’autre il a été manipulé à partir d’échantillons naturels et un expérimentateur a pu se contaminer.»