Depuis cinq ans, une arme sur dix vendue dans le monde a été achetée par l’Arabie saoudite! Et le royaume s’est offert un quart des armes américaines écoulées. Un tel marché fait naître bien des convoitises, alors que les relations entre Washington et Riyad, mais aussi Abou Dhabi, se sont refroidies. Pour l’heure, plusieurs ventes d’armes made in USA signées avec ces pays sont suspendues. Notamment celles des chasseurs F-35 à destination des Émirats arabes unis et des missiles de précision Raytheon.
Reste à savoir si Washington laissera la France grappiller des parts de marché sur ses exportations d’armes?
«Tant que ça n’a pas d’impact sur les ventes d’armes américaines, Washington laissera faire», observe Pierre Berthelot, chercheur associé à l’Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE). «Les Américains tolèrent une incursion française, tant qu’ils n’ont que les miettes.»
En effet, la marche est haute, très haute pour la France. Selon une étude du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI) publiée le 15 mars, sur la période 2016-2020, Paris n’a exporté que 4% des armes saoudiennes achetées sur la période 2016-2020. Dans le même temps, Washington en a fourni 79%.
«La France a toujours travaillé avec l’Arabie saoudite. Concernant les parts de marché, on est très loin de prendre celle des États-Unis», résume le général (2S) Dominique Trinquand: «Les chiffres français sont marginaux par rapport aux États-Unis. Il s’agit simplement d’occuper la place que la France a toujours occupée.»
Convaincre Riyad de renoncer aux F-35 au profit des Rafale français
Paris ne manquerait pourtant pas de gourmandise. L’ambition serait de convaincre les deux puissances du golfe Persique de renoncer aux F-35 et aux missiles de précision américains pour se rabattre sur des Rafale, joyau commercial de l’industrie de la défense française.
Pour Dominique Trinquand, la France serait dans son rôle en essayant d’avancer ses intérêts économiques et stratégiques régionaux, en particulier auprès de l’Arabie saoudite. Notamment au nom de la lutte anti-terroriste que la France mène sur son sol:
«La France a intérêt à s’entretenir avec ce pays musulman qui n’est pas des moindres, puisque c’est le gardien des lieux saints de l’Islam. La France mène un combat contre les Frères musulmans* et contre l’entrisme musulman sur son territoire. Elle a besoin d’alliés dans ces pays pour lutter contre ces menaces, le Maroc et les Émirats arabes unis sont en pointe. Mais Riyad, en tant que gardien des lieux saints, est un interlocuteur très important», estime le général.
«Une absence totale de responsabilité sur les ventes d’armes»
La France était pourtant instigatrice et signataire du Traité sur le commerce des armes (TCA), adopté en 2013 par l’ONU, qui conditionne la vente de matériel de guerre au respect des droits de l’homme. Une contradiction qui n’est pas du goût de tout le monde:
«Le gouvernement français accorde un blanc-seing [à Riyad, ndlr] depuis longtemps», accuse ainsi Benoît Muracciole, président de l'ONG Action sécurité éthique républicaines (ASER), au micro de Sputnik: «Ce processus s’est accéléré sous Hollande, qui s’est rendu de très nombreuses fois en Arabie saoudite. Il y a là une absence totale de responsabilité alors que la France a signé le Traité sur le commerce des armes.»
Nécessité fait loi: «La France ne peut se permettre de rompre avec l’Arabie saoudite, ni même de la critiquer, car c’est l’un de ses premiers clients en matière d’armement», estime quant à lui Pierre Berthelot.
La France détient, selon l’étude du SIPRI, 8,4% des parts mondiales du marché de l’armement. Ses exportations d’armes ont augmenté de 44% sur la période 2016-2020.
* Organisation terroriste interdite en Russie.