Si l’intelligence artificielle peut ranimer les images de personnes décédées, quel effet cela pourrait-il avoir sur leurs proches encore en vie? Le Temps a posé cette question à Johan Rochel, co-directeur d’Ethix, laboratoire d’éthique d’innovation.
Il s’agit d’un «business immense simplement parce qu’on touche à un besoin fondamental de l’être humain qui est de refuser ou en tout cas d’avoir beaucoup de difficultés à accepter la mort, la fin d’une relation», explique-t-il au quotidien suisse.
C’est notamment la technologie Deep Nostalgia, élaborée par l’entreprise israélienne MyHeritage, qui jouit d’une grande popularité sur les réseaux sociaux. Alors qu’elle est capable de redonner vie aux vieilles photos, les utilisateurs s’adonnent largement à «ranimer» leurs ancêtres ou les génies d’antan.
Albert Einstein (1879-1955), physicien helvético-américain d'origine allemande. #PortraitAnimé avec l'outil #DeepNostalgia. pic.twitter.com/QcSnFHSxgh
— Paysages Mathématiques (@paysmaths) March 5, 2021
Elle lança la mode des bains de mer au 19ème siècle à #Dieppe... La Duchesse de Berry animée par l'application #MyHeritage #DeepNostalgia !
— Dieppe Tourisme (@DieppeTourisme) March 8, 2021
Belle journée des droits des femmes à tous·tes ! 💜#8mars #JourneeDesDroitsDesFemmes pic.twitter.com/gxDYZQyA5Y
Très intriguée (et perplexe) en voyant passer des posts à propos de myHeritage, j'ai voulu tester par curiosité l'outil d'animation de photo DeepNostalgia.
— 🅰ⓝⓖⓔ😇 &ⓛⓘⓚⓔ😃 〰️ 𝔽𝕠𝕘𝕦𝔼𝕤𝕔𝕒𝕝𝕖𝕤 😎 (@Angie_A_F) March 6, 2021
Comment dire... Je suis scotchée ! Autant stupéfiant, fascinant que perturbant...
Ici mon arrière-grand-mère maternelle⤵️ pic.twitter.com/buugECa0ZG
L’éternité numérique peut encore être assurée via les services proposés par des plateformes telles que DeadSocial qui permettent d’«envoyer» des messages dans le futur, voire après son décès, ou un chatbot de Microsoft proposant de «parler» avec un de ses proches décédé.
Une «version améliorée» des souvenirs
Kanye West est allé jusqu’à ressusciter virtuellement le père de sa femme Kim Kardashian, décédé en 2003.
Kanye West has given his wife Kim Kardashian a hologram of her late father Robert for her 40th birthday.
— Sky News (@SkyNews) October 30, 2020
For the latest news in showbiz, head here: https://t.co/U9PKAV3bpC pic.twitter.com/yGSDNgxCry
Il n’y a pas à nier que ces technologies peuvent faire évoluer notre capacité à faire le deuil, poursuit Johan Rochel. Depuis quelques années par exemple, le processus s’appuie sur des photos, des vidéos de la personne afin de réveiller les souvenirs.
Grâce à la technologie, «on se rend dans quelque chose qui va plus loin, mais qui répond à mon avis à la même logique. Si on en fait une utilisation saine […] où on va chercher à se remettre dans une situation de joie d’un moment partagé avec la personne et simplement ça, ce sera beaucoup plus tangible. Ce sera la version améliorée de cet échange», estime-t-il.
Une équipe d’ingénieurs en Corée du Sud a mis en place un avatar numérique d’une fillette de 7 ans, morte d’une maladie incurable, pour que sa mère puisse lui dire adieu. L’apparence, les mimiques, la voix ont été recréées à l’aide de l’intelligence artificielle.
Quels effets psychologiques?
Selon M.Rochel, outre les nouvelles pratiques commerciales et médicales, la technologie peut entraîner des conséquences pas forcément positives du point de vue psychologique.
«On aura peut-être des nouvelles formes de maladies autour du deuil, un usage quasiment maladif de ces outils technologiques pour ne pas laisser la personne s’en aller, des nouvelles formes de dépression.»
Le problème de ces tentatives de faire revivre celui qui n’est plus, c’est qu’on ne sait pas par quoi elles vont se solder. En cela, si l’on s’interroge sur «"Est-ce que j’aurais, au fond, accepté cette offre de poursuivre le contact avec la personne qui est décédée?" Je pense qu’on doit être honnête, beaucoup d’entre nous auraient certainement tenté l’aventure», résume Johan Rochel.