Nucléaire en Pologne: un bras de fer franco-américain perdu d’avance pour EDF?

© AFP 2024 CHARLY TRIBALLEAU Vue générale de la construction du réacteur européen à eau sous pression (EPR) de troisième génération à Flamanville, France.
Vue générale de la construction du réacteur européen à eau sous pression (EPR) de troisième génération à Flamanville, France. - Sputnik Afrique, 1920, 09.03.2021
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Varsovie entend faire construire six réacteurs nucléaires à l’horizon 2043. Français et Américains se disputent le marché. Pour l’instant, l’offre venue d’outre-Atlantique semble bénéficier de la dynamique induite par un important accord entre Washington et Varsovie. Mais ce n’est pas son seul atout.

EDF lorgne un marché estimé à près de 34 milliards d’euros: la création du parc nucléaire polonais. Petit problème, ce pactole excite aussi la convoitise américaine. Une concurrence rendue redoutable par la relation privilégiée entre Donald Trump et Andrzej Duda, son homologue polonais. Du coup, avec l’élection de Joe Biden, Paris escomptait un retournement de situation en faveur de son offre. Hélas, les chances françaises sont toujours aussi ténues! D’autant que les Américains ont déjà bien avancé leurs pions…

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Responsable du gouvernement polonais pour les infrastructures stratégiques, Piotr Naimski a déclaré le 2 mars sur la radio TOK FM que l’accord préliminaire de coopération signé fin octobre avec les États-Unis venait d’entrer en vigueur. Paraphé quelques jours avant les élections outre-Atlantique, cet accord intergouvernemental américano-polonais vise à «développer le programme d’énergie nucléaire de la Pologne». Il engage la Pologne à passer pour 18 milliards de dollars de commandes à des firmes US dans le domaine du nucléaire civil.
Vu de Washington, voilà qui prépare le terrain pour les choses sérieuses. En effet, la Pologne a prévu  de faire sortir de terre six réacteurs d’ici à 2043. Un marché de 40 milliards de dollars (34 milliards d’euros) que les Américains n’entendent pas laisser leur échapper. Ils ont proposé aux Polonais de prendre en charge l’intégralité de l’étude préparatoire à l’offre finale. Désormais, Varsovie dispose de dix-huit mois pour statuer sur ce dossier.

Les Américains ont un temps d’avance

Soucieux de contrer cette «option américaine», Franck Riester avait fait le déplacement à Varsovie début février afin d’y présenter l’offre française en compagnie de Jean-Bernard Lévy, le PDG d’EDF. Le ministre délégué en charge du Commerce extérieur a vanté les mérites de la «filière d’excellence» tricolore. Il en a profité pour saluer le «choix de la décarbonation» opéré par Varsovie.

De son côté, le patron d’EDF proposait devant les médias locaux de financer les deux tiers du projet.

Reste à savoir si l’argument permettra au réacteur pressurisé européen (EPR) de l’emporter sur l’offre des Américains. Ces derniers ont un temps d’avance grâce à l’accord de coopération qui vient d’entrer en vigueur. Et ce même si les autorités polonaises restent officiellement ouvertes aux autres propositions.

Pour achever de convaincre les Polonais, le secrétaire d’État US soutient que cet investissement leur permettra de réduire leur dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie. Un argument qui avait servi à vendre du gaz de schiste aux Polonais en octobre 2020. Ce contrat «de trente ans» étant «le premier du genre», s’était alors félicité le département d’État de l’Énergie. La Pologne «et ses voisins» ne seront «plus jamais retenus en otage d'un seul fournisseur d'énergie» avait-il renchéri.

Nucléaire et éolien, main dans la main

Dans un pays aux hivers rudes, qui perçoit encore l’énergie comme le nerf de l’économie, l’électricité doit rester peu coûteuse et disponible en permanence. En clair, elle ne doit pas dépendre d’aléas diplomatiques ou commerciaux.
Extrait des gigantesques mines du centre du pays ou importé des États-Unis, de Russie voire de Chine, le charbon pèse toujours 70% de la production électrique polonaise. Mais les réserves ne sont pas inépuisables. Varsovie espère que le premier de ses futurs réacteurs nucléaires sera opérationnel d’ici à 2033. Deux ans avant l’épuisement de ses réserves de charbon, prévu pour 2035.

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Par ailleurs, le gouvernement conservateur a fait savoir qu’il ne renouvellerait pas, en 2022, son contrat d’approvisionnement gazier avec Gazprom, qui fournit 5% de l’énergie du pays.
Une multitude de défis politiques et industriels attendent donc Varsovie. Sachant que, en l’espace de trois décennies, la Pologne a déjà réduit de plus d’un tiers ses émissions de CO2.

Côté nucléaire, l’investissement envisagé sur vingt ans par les autorités polonaises a été budgétisé à hauteur de 150 milliards de zlotys (34 milliards d’euros). À ce montant s’ajoutent 130 milliards de zlotys (29 milliards d'euros) dans l’éolien off-shore. Début février, Varsovie appelait à porter la part des énergies renouvelables dans le pays à 23% d’ici à 2030, contre 13% actuellement.

Développer parallèlement le nucléaire et l’éolien, voilà qui différencie les Polonais des Français. Paris ayant décidé, au nom de la sauvegarde du climat, de réduire la part du nucléaire dans son mix énergétique, tout en augmentant la contribution des énergies renouvelables. Pourtant, les centrales nucléaires n’émettent pas de gaz à effet de serre, contrairement à ce que pense une majorité de Français (69% d’entre eux considèrent que le nucléaire contribue au dérèglement climatique, selon un sondage BVA de juin 2019).

En revanche, à cause de son fonctionnement intermittent, l’éolien nécessite de recourir à des centrales thermiques lorsque les pales se font porter pâles pour cause de calme plat. Ce relais génère du CO2. Mais moins, toutefois, que l’utilisation de charbon en continu actuellement en vigueur en Pologne, qui est l’une des économies les plus carbonées de l’Union européenne.

Les écologistes allemands furieux

Néanmoins cette conversion tardive à l’énergie atomique ne sied pas à tous. Au Bundestag, les écologistes allemands qui ont déjà eu la peau du nucléaire dans leur pays ne digèrent pas l’idée que de telles centrales voient le jour à quelques centaines de kilomètres des frontières fédérales.

«Il y a une probabilité de 20% que l'Allemagne soit touchée par un accident dans une des centrales nucléaires prévues», s’alarmait auprès de Deutsche Welle Sylvia Kotting-Uhl, présidente du comité sur l’environnement du Parlement. Selon l’élue verte, un incident majeur dans une centrale polonaise pourrait affecter Berlin et d’Hambourg, provoquant l’évacuation d’au moins 1,8 million de personnes.

Du côté gouvernemental, le ministre de l’Environnement a déclaré au même média que l’Allemagne voulait rester «impliquée» dans les projets nucléaires de la Pologne, prétextant des exigences de sécurité et de protection à l’égard des États voisin. C’est d’ailleurs ce même discours de Berlin, au nom de la sécurité du peuple allemand, qui avait contribué à la fermeture de Fessenheim. Pour l’heure, les autorités polonaises ne semblent pas sensibles aux doléances teutonnes. Un autre point qui les distingue de leurs homologues français.

Une France qui ne croit plus au nucléaire peut-elle encore convaincre la Pologne?

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Le torchon brûle entre Paris et Varsovie
Dans ce marché, la France semble être son propre ennemi. Auditionné le 10 février par l’Assemblée nationale sur l'avenir de l'entreprise et le projet «Hercule», le patron d’EDF, Jean-Bernard Lévy, invitait le gouvernement français à statuer rapidement sur le lancement des chantiers de six réacteurs EPR français. Une question de crédibilité vis-à-vis des Polonais, selon lui.  
Mais, dans le même temps, les responsables du réseau public d’acheminement de l’électricité, RTE, promouvaient, dans un rapport rendu à Barbara Pompili, un passage à 100% énergies renouvelables en France. Une option qui prévoit de facto le démantèlement intégral de la filière nucléaire tricolore d’ici à trente ans.
D’ores et déjà, outre les deux réacteurs stoppés à Fessenheim, douze autres unités françaises de 900 MWh doivent fermer prochainement dans le cadre de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) adoptée en avril dernier.

Enfin, ultime rempart à l’optimisme dans ce dossier, les Polonais ont quasi systématiquement accordé leur confiance à Washington depuis qu’ils sont sortis de l’orbite soviétique. Fin 2016, le gouvernement polonais, déjà issu du PiS, avait déchiré un contrat de 3,1 milliards d’euros avec Airbus portant sur l’acquisition d’une cinquantaine d’hélicoptère multi-rôles Caracal. Une commande que Varsovie n’avait pas hésité à utiliser comme levier de chantage afin de pousser Paris à déchirer lui-même le contrat des Mistral avec la Russie. Dans la foulée, la Pologne s’était empressée d’acheter des hélicoptères Black Hawk aux États-Unis. Un funeste précédent pour EDF?

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