Un discours qui aurait été extrêmement critiqué tant par l'opposition qu'au sein même de la majorité du ministre, d'après Krzysztof Soloch, chercheur associé à la Fondation pour la Recherche stratégique:
Une sortie avec laquelle le Premier ministre Beata Szydło, issu du même parti ultraconservateur Droit et Justice (PiS), n'a pas tardé à prendre ses distances. Face à la levée de boucliers, le ministre de la Défense aurait alors tenté de relativiser, à sa manière… singulière:
« Macierewicz lui-même, un jour après, a commencé à essayer de diluer cette information en disant que si l'Égypte n'avaient pas transféré les Mistral à la Russie c'était peut-être, en quelque sorte, grâce à son discours à la Diète. »
Pour notre expert, ces déclarations de Macierewicz étaient fondées sur des « sources très douteuses » ainsi que le désir d'en découdre avec l'opposition. Un discours à usage interne, mais dont l'écho est parvenu à l'hôtel de Brienne, alors même que Paris planchait sur des représailles suite à l'annulation brutale du contrat Caracal.
« Les conséquences ont été très rapides, le ministre de la Défense Jean Yves le Drian a annulé sa visite en Pologne. Tout comme le Président François Hollande, le ministre français des Affaires étrangères a également repoussé sa visite. La France a finalement décidé de ne pas inviter de représentants polonais à Euronaval et le dialogue stratégique a été suspendu. »
Pourtant, dès février, des sources du ministère de la Défense polonais évoquaient des discussions allant « dans la mauvaise direction ». Paris avait alors haussé le ton, estimant qu'une telle remise en cause de la vente des 50 appareils n'était tout simplement « pas envisageable ». Des mises en garde bien vaines.
Première victime de ce retournement polonais, les relations franco-polonaises: encore « excellentes il y a encore un an », explique Krzysztof Soloch, la dégradation des relations bilatérales entre les deux pays a pris ces dernières semaines une tournure sans précédent. Selon lui, leur état est même pire qu'en février 2003 après le discours de Jacques Chirac à l'occasion d'un sommet européen dédié à l'Irak, à quelques semaines du début des opérations militaires.
Outre la manière peu diplomatique de rompre brutalement le contrat Caracal, c'est la personnalité, pour le moins « controversée » d'Antoni Macierewicz qui pose problème. Alors dans l'opposition, il avait publiquement fait connaître son opposition au Caracal. Au nom de la sauvegarde des emplois dans l'industrie nationale, il avait vivement critiqué le gouvernement pour avoir octroyé un tel contrat de Défense au constructeur français, comme le relate Krzysztof Soloch:
« Macierewicz estimait à l'époque qu'il était tout à fait inconcevable qu'on puisse confier un contrat aussi important à une entreprise qui n'est pas installée en Pologne — ce qui d'ailleurs était faux — mais qui n'a pas une chaîne de production en Pologne et dont on ne savait pas si elle allait produire en Pologne ou comment elle allait investir en Pologne. […] D'ailleurs, l'annulation de ce contrat a été l'un des arguments, ou plutôt une promesse électorale qui s'est retrouvée dans tous les discours de Macierewicz ou même de Kaczynski. »
De plus, si l'on pouvait s'attendre à une remise en cause du contrat, M. Macierewicz conserve l'étiquette d'un homme qui se distingue par ses discours « extrêmement controversés », explique Krzysztof Soloch.
En effet, en février 2015, alors même qu'enflait la rumeur du contrat Caracal, le nouveau ministre de la Défense annonçait la réouverture de l'enquête sur le crash du Tu-154M présidentiel à Smolensk en 2010. Un drame qui avait coûté la vie au président Lech Kaczyński ainsi qu'à de nombreux responsables politiques, économiques et militaires polonais.
Le ministre polonais a déclaré devant les caméras de la TVP que le rapport d'enquête avait été « falsifié » par l'ancien gouvernement, un acte qui ne devait « pas rester sans conséquences ».
Un raisonnement qui laisse ainsi entendre qu'une collusion entre Donald Tusk et Vladimir Poutine existerait.
Une opinion qui semble l'emporter dans les sphères du pouvoir: le frère jumeau du défunt président Jaroslaw Kaczynski, aujourd'hui à la tête du parti qui gouverne la Pologne, a annoncé le 15 octobre dernier que le parquet national allait faire exhumer la dépouille de l'ancien président pour une analyse ayant pour but de confirmer la thèse d'un attentat russe.
Cependant, tout cela peut-il se réduire à une affaire de gros sous? En effet, le contrat Caracal, qui à l'époque avait « surpris tout le monde », avait été instrumentalisé par les autorités polonaises pour faire pression sur Paris, qui devait choisir entre livrer ses Mistral à la Russie ou construire les Caracal.
Autres illustrations: en 2015, les polonais avaient déjà préféré les batteries anti-missiles « Patriot » à leurs concurrents de Thales et MBDA. Plus gros encore, en 2003, à un an de son adhésion à l'Union Européenne, la Pologne préférait déjà les F-16 américains à ses rivaux français et suédois. Un contrat de 48 chasseurs et de plus de 12 milliards de dollars sur 10 ans.
Bref, selon les mots même de le Drian, « On en est là. La situation est un peu tendue. Ce qui ne nous empêchera pas de remplir nos obligations en matière de réassurance (vis-à-vis de la Pologne). On est correct en affaires en ce qui nous concerne. »
Décryptage: le ministre sous-entend visiblement que la réciproque n'est pas vraie… Mais que la Pologne se rassure, le froid entre Paris et Varsovie ne suffira pas à remettre en cause l'engagement français en Europe de l'Est dans le cadre de l'OTAN.
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