«La responsabilité des ministres de droite comme de gauche est impardonnable dans cette destruction: c’est un renoncement volontaire de nos élites!»
Barbara Lefebvre ne mâche pas ses mots. Très remontée, mais peu surprise des résultats de l’enquête de l’IFOP pour la LICRA sur la perception de la laïcité chez les lycéens français, parue ce mercredi 3 mars, l’essayiste et enseignante constate l’échec de l’Éducation nationale. Et plus largement des gouvernants qui se sont succédé depuis plusieurs années.
Des jeunes majoritairement favorables au port du voile dans les #lycées
— Ifop Opinion (@IfopOpinion) March 3, 2021
52% des lycéens sont favorables au port de signes religieux ostensibles dans les lycées publics
Soit une proportion deux fois plus grande que chez les adultes (25%) pic.twitter.com/nYyyWDoS5p
Les chiffres donnés par l’institut de sondage sont sans appel. Première observation: l’écart entre l’opinion des jeunes lycéens interrogés (15-18 ans) sur les questions liées à la laïcité et celui de la population adulte est parfois saisissant. Le port de signes religieux ostensibles (voile, kippa, croix, etc.) par les élèves dans les lycées publics s’avèrerait ainsi soutenu par plus d’un lycéen sur deux (52% des personnes sondées), soit une proportion deux fois plus grande que dans la population adulte (25%). Autre exemple donné dans le sondage: le port du «burkini» lors des cours de natation serait soutenu par 38% des lycéens, quand la population adulte ne l’accepterait qu’à 24%.
«Cette enquête est révélatrice d’une certaine sociologie des lycéens aujourd’hui, qui ne partagent pas la vision de la laïcité de leurs parents ou de leurs grands-parents. L’écart entre les plus jeunes et les adultes est immense et n’est pas prêt de s’estomper», alerte Barbara Lefebvre au micro de Sputnik.
Pour l’auteur de Génération «J’ai le droit»: La faillite de notre éducation (Éd. Albin Michel), l’explication est relativement simple: le corps enseignant a renoncé depuis bien longtemps à véhiculer l’universalisme républicain, laissant prospérer les récriminations et revendications de minorités parfois bruyantes. «Le caractère raisonnable et raisonné de la laïcité qui devrait être celui de l’école républicaine n’existe plus: les enseignants sont désormais incapables d’incarner la laïcité. En tant que principe juridique, la laïcité ne s’enseigne pas, elle s’incarne», souligne-t-elle.
78% des jeunes musulmans contre le droit de blasphémer
Au lendemain des attentats de Charlie Hebdo, en janvier 2015, plusieurs voix s’étaient fait entendre pour regretter l’absence de compassion pour les victimes des terroristes islamistes dans certaines écoles et certains quartiers. À l’époque, la proportion de lycéens ne condamnant pas fermement les attentats s’élevait selon les sondages à 7%. Selon l’IFOP, ce chiffre atteindrait désormais 16%. Pis, chez les lycéens sondés se déclarant de confession musulmane, 9% «condamnent les terroristes, mais partagent certaines de leurs motivations» et 11% se disent indifférents à l’égard des terroristes ayant assassiné ces personnes.
Le jour où à l’#école, nous renouerons avec un enseignement qui apprend l’amour de la France et de la République, peut-être que nous nous en sortirons. En attendant, les sondages s’enchaînent et se ressemblent. Une partie de notre pays est en train de faire sécession ! #Laicite
— Kevin Bossuet (@kevinbossuet) March 3, 2021
Concernant le «droit au blasphème», qu’illustrent les rebondissements de l’affaire Mila, les jeunes musulmans s’opposeraient dans leur grande majorité (78%) au droit d’outrager une religion. 48% des jeunes musulmans estimeraient de surcroît que Samuel Paty a eu tort de montrer les caricatures de Mahomet, contre 10% pour ceux se déclarant «sans religion» et 11% pour les catholiques. Enfin, 61% des jeunes musulmans sondés se disent opposés au droit des journaux à caricaturer les personnages religieux.
«Ces chiffres sont logiques, car la proportion de croyants et de pratiquants parmi ceux qui se définissent comme musulmans est bien plus importante que parmi ceux qui se définissent comme catholiques, protestants ou juifs», avance Barbara Lefebvre. «Je ne vois pas ce qu’il y a d’anormal pour un croyant dont la religion interdit le blasphème de ne pas l’accepter. Contrairement aux catholiques, qui sont pour la plupart déchristianisés, les musulmans en France sont très loin d’être “désislamisés” et sécularisés.»
Le sondage de l’IFOP permet en outre de faire ressortir un fait sociologique inédit, jusqu’ici peu mesuré statistiquement. En effet, selon l’institut de sondage, une part importante de la jeunesse dite «populaire» (ne se disant pas forcément religieuse) adhèrerait spontanément aux opinions de la jeunesse se déclarant de confession musulmane.
Entre l'américanisation du rapport à la religion et à la nation, et les renoncements progressifs des élites françaises, voici le résultat : une bombe à retardement... MLP #Laïcité https://t.co/BNrp8Lm9Tg
— Marine Le Pen (@MLP_officiel) March 3, 2021
Quand la proportion totale d’élèves musulmans n’exprimant pas de condamnation totale à l’égard des terroristes s’élèverait à 22%, celle observée chez les élèves scolarisés en Réseau d’Éducation Prioritaire (REP) grimperait à 30%.
«Dictature de l’émotion»
Barbara Lefebvre croit pouvoir déceler dans ce chiffre un «phénomène d’acculturation, qui fait que des opinions autrefois minoritaires en France sont désormais majoritaires dans les quartiers dits “populaires”». «Le changement démographique s’observe assez logiquement dans la sociologie de l’opinion de la jeunesse lycéenne en France», constate-t-elle.
Acculturation, «l’immense échec de cette merveilleuse école républicaine»
En la matière, l’auteur de C’est ça la France…: Qu’a-t-on fait pour mériter ça? (Éd. Albin Michel) estime cependant que cette «tendance à la victimisation» n’est pas l’apanage de la jeunesse musulmane, mais devient une constante parmi la jeunesse française dans son ensemble.
«Les jeunes de manière générale sont systématiquement offensés pour un oui ou pour un non. L’école a depuis longtemps renoncé à instruire: la déculturation de masse n’a donc rien d’étonnant! Elle ne fait désormais plus qu’informer: les élèves n’ont plus aucun esprit critique et sont dans la dictature de l’émotion», lance l’essayiste.
Pour la co-auteur des Territoires perdus de la République (Éd. Mille et une nuits), aucun doute: la France paie des années d’autoflagellation autour de la question de l’identité.
«Ces phénomènes n’existent que dans les sociétés multiculturelles, dans lesquelles il y a une concurrence entre les “minorités opprimées” et la “majorité dominante”. Ces rapports de domination n’existent qu’en Occident! La repentance et la culpabilité occidentale nous retombent dessus à travers l’expression de ces minorités qui refusent d’être dominées par une majorité. On n’a que ce qu’on mérite», tempête-t-elle.
Le bilan dressé par l’essayiste n’incite pas à l’optimisme pour les années à venir. «La laïcité française et le modèle culturel qui y est attaché finiront par se dissoudre dans le magma de la culture européenne et américaine», pronostique-t-elle.
Depuis 30 ans, monte dans le pays un courant de pensée diversitaire consistant à glorifier l’individu par rapport au collectif, le droit à la différence plutôt que l’obligation d’assimilation, la singularité exacerbée. L’école en est le reflet. https://t.co/xjlaoJN1V9 #Education
— Julien Aubert (@JulienAubert84) March 3, 2021
Las, «l’immense échec de cette merveilleuse école républicaine qui parvenait encore autrefois à émanciper la jeunesse» préfigure selon elle le «renoncement à l’esprit français inspiré des Lumières, qui visait à s’arracher à son déterminisme de naissance pour évoluer vers la raison et l’instruction.»
«Ce sondage reflète l’abandon de cette jeunesse par l’Éducation nationale: c’est la responsabilité de nos dirigeants. Ces gamins ont été laissés en friche par l’Education nationale qui a abandonné toute exigence intellectuelle», conclut-elle, amère.