Découverte par Christophe Colomb lors de son premier voyage en 1492, la fameuse île d’Hispaniola sera-t-elle bientôt coupée en deux par un mur? C’est du moins ce que vient d’annoncer en grande pompe le Président dominicain, Luis Abinader, affirmant vouloir ainsi lutter contre l’immigration clandestine et la criminalité.
«D'ici à deux ans, nous voulons mettre un terme aux graves problèmes d'immigration illégale, de trafic de drogue et de transit de véhicules volés que nous connaissons depuis des années. Nous voulons parvenir à la pleine protection de notre intégrité territoriale, à laquelle nous aspirons depuis notre indépendance», a déclaré le président élu en juillet 2020.
D’une longueur de 380 kilomètres, le mur comprendra aussi des portions en mer pour éviter que les migrants clandestins ne soient tentés de le contourner par la voie maritime. De même, il sera assez profond pour éviter que des tunnels ne soient construits en dessous par des passeurs ou des migrants, rapportent des observateurs dans la presse.
Construction du mur: une «trumpisation» de la République dominicaine?
Professeur d’économie et de coopération internationale à l’Université autonome de Saint-Domingue, Juan Del Rosario est pour le moins sceptique quant à l’efficacité du projet. Pour stopper les migrants clandestins, il estime que le mur ne sera pas plus efficace que celui qui se dresse à la frontière entre les États-Unis et le Mexique:
«Les autorités veulent d’abord colmater toutes les brèches par lesquelles les migrants peuvent passer tout au long de la frontière. […] Aux États-Unis, le président Trump a mobilisé toutes les ressources qu’il pouvait à la frontière et n’a même pas réussi à stopper complètement l’immigration illégale. Vous pensez alors que ce sera possible en République dominicaine?» demande le professeur à notre micro.
Immigration et exil des cerveaux: les plus riches vont s’en tirer
Selon Juan Del Rosario, le mur affectera principalement les migrants haïtiens les plus défavorisés, car une grande partie de l’immigration haïtienne en République dominicaine est constituée de «gens de l’élite». Environ un demi-million d’Haïtiens vivent illégalement dans le pays voisin et plusieurs milliers d’autres y demeurent en toute légalité, précise notre interlocuteur.
«L’exil des cerveaux nuit d’abord et avant tout au développement d’Haïti. Les Haïtiens qui réussissent à s’établir en République dominicaine sont souvent ceux qui ont de l’argent et viennent de milieux éduqués. […] Le concept du mur doit être repensé. Il vaut mieux prôner la collaboration et la coopération internationale», plaide l’universitaire dominicain.
Depuis février 2019, Haïti traverse une grave crise politique et économique, qui se traduit entre autres par une opposition grandissante au Président Moïse. Le 7 février dernier, ce dernier a décidé de prolonger son mandat d’un an, ce qui a de nouveau provoqué des manifestations et des heurts avec la police.
Crise politique et économique: la tension monte en Haïti
La prolongation de son propre mandat par le Président est considérée comme «illégale» par plusieurs spécialistes de la perle des Antilles, tels que Frantz Voltaire, récemment interrogé à notre micro. Les opposants l’accusent notamment d’avoir détourné des fonds du Petrocaribe, un prêt accordé à Haïti par le Venezuela. Une enquête de la Cour supérieure des comptes a conclu que le Président avait participé à cette fraude.
«Le flux de migrants haïtiens a toujours continué de manière assez régulière. La crise en Haïti peut amplifier momentanément les flux, mais ils restent stables à long terme. […] La décision de Saint-Domingue conforte surtout les groupes nationalistes qui ont développé le thème de ‘‘l’invasion haïtienne’’. Ils font aussi la promotion des programmes d’expulsion des migrants haïtiens. C’est du populisme», tacle le professeur d’économie.