Une surenchère d’accusations. C’est à cet exercice que s’est livré Antonio Guterres ce lundi 22 février dans son discours annuel au Conseil des droits de l’homme (CDH). Dans un message vidéo préenregistré, le secrétaire général de l’ONU recense les «violations» des «droits humains» perpétrées durant la crise mondiale du Covid-19.
Des atteintes aux «droits politiques et civils» notamment, ainsi qu’aux «espaces civiques d’expression», dont profiteraient les gouvernements. Aucun État ou autorité n’est toutefois nommément cité.
«Brandissant la pandémie comme prétexte, les autorités de certains pays ont pris des mesures de sécurité sévères et adopté des mesures d’urgence pour réprimer les voix dissonantes, abolir les libertés les plus fondamentales, faire taire les médias indépendants et entraver le travail des organisations non gouvernementales», a martelé Antonio Guterres devant le Conseil des droits de l’homme.
Le chef de l’ONU semble donc se faire l’écho, de manière générale et absolue, des inquiétudes à travers le monde à l’égard de décisions gouvernementales, jugées parfois liberticides et dangereuses. Ne nommant personne, Guterres cible les États-nations en général: «Le nationalisme vaccinal nous ramène en arrière.»
L’ONU verse-t-elle dans le complotisme?
Ce n’est pas la première fois que les puissances étatiques se voient accusées de profiter de la situation mondiale pour égratigner les libertés publiques et individuelles. Au début du mois de février 2021, The Economist publiait un rapport alarmant sur «l’énorme recul des libertés civiles en 2020». Sur 167 pays passés au crible, près des trois quarts auraient vu l’état de leur démocratie prendre un coup cette année-là. L’ONU, par la voix de son secrétaire général, s’inscrit aussi dans cette démarche protestataire, voire accusatoire.
Just 23 out of 167 countries attained “full democracy” classification in @TheEIU's latest Democracy Index https://t.co/mdPn5GC010 pic.twitter.com/fz5xe4Cszu
— The Economist (@TheEconomist) February 3, 2021
Dans son inventaire des atteintes aux droits humains, Antonio Guterres s’en prend aux mesures arbitraires d’arrestation et de surveillance permises depuis 2019. Défenseurs des droits humains, journalistes, avocats, militants, professionnels de la santé, tous pâtiraient dans leur travail de ce virage autoritaire. L’«excuse» du Covid serait une aubaine pour nuire aux «processus électoraux, affaiblir les voix des opposants et réprimer les critiques». Antonio Guterres va jusqu’à parler d’entrave aux «informations vitales» ou de «désinformation mortelle» organisée par certains dirigeants.
La pandémie ne doit pas servir de prétexte
— La France à l'ONU (@franceonu) December 3, 2020
- aux restrictions de l’espace de la soc. civile
- au recul de l’Etat de droit
- aux atteintes à la liberté d’expression
- à la détention arbitraire d’opposants
- à une remise en cause de la lutte contre les violences faites aux femmes pic.twitter.com/NKipiU5E8u
Le haut fonctionnaire international n’hésite pas non plus à lancer quelques accusations qui, proférées ailleurs qu’au micro de l’ONU, auraient pu être qualifiées de «complotistes». À l’exemple de sa dénonciation d’une «utilisation abusive des données» numériques accentuée depuis 2019.
«Nos données sont également utilisées pour façonner et manipuler nos perceptions, sans que nous ne nous en rendions compte, ajoute Antonio Guterres. Les gouvernements peuvent exploiter ces données pour contrôler le comportement de leurs propres citoyens, bafouant ainsi les droits humains de certaines personnes ou certains groupes.»
«Une vaste bibliothèque d’informations» serait, selon lui, actuellement «constituée sur chacune et chacun d’entre nous». Et le chef de l’ONU de s’alarmer: «Nous ne savons pas comment ces informations ont été recueillies, par qui, ni à quelles fins.»
Bien sûr, Guterres vise là les GAFA.
L’érosion des libertés publiques
Dans le classement proposé par The Economist, la France s’est vue rétrogradée du statut de «démocratie à part entière» à celui de «démocratie imparfaite» [«Flawed Democracy» en version originale, ndlr.). Assignations à résidence, couvre-feux, fermeture des commerces, limitation voire interdiction de la liberté de circuler…
Dans sa diatribe, le chef de l’ONU ne jauge pas ces violations des libertés en fonction du risque sanitaire à l’instant de leur mise en œuvre. Une évaluation, certes plus complexe, mais sans doute plus sage, à laquelle s’était livrée au mois de décembre 2020, l'Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale (IDEA). Au dire de l’enquête, 43% des États démocratiques avaient instauré des «restrictions de liberté illégales, disproportionnées, illimitées dans le temps ou non nécessaires» en invoquant la crise sanitaire.