Le défi de Macron lancé à Carlito et McFly: faut-il aller jusqu’à courtiser les youtubeurs pour gagner la jeunesse?

© Sputnik . Sergueï Gouneïev / Accéder à la base multimédiaEmmanuel Macron
Emmanuel Macron - Sputnik Afrique, 1920, 23.02.2021
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Carlito et McFly, deux youtubeurs prisés par la jeunesse, ont accepté le défi lancé par Emmanuel Macron: réaliser une vidéo pour sensibiliser leur public aux gestes barrières. Le pari peut-être à court terme payant pour le Président de la République. Mais à court terme, seulement.

«Je vous lance un défi.» La formule n’est pas celle d’un youtubeur ou d’un abonné. Elle vient du Président de la République, et elle s’adresse à McFly et Carlito. Habitués aux défis parfois loufoques, souvent ridicules, ces deux youtubeurs ont partagé, dans une vidéo publiée ce vendredi 19 février sur leur chaîne, des extraits du défi lancé par Emmanuel Macron. «Pour aider nos soignants aujourd’hui, pour nous aider à gagner collectivement face à l’épidémie», le Président sollicite le duo star pour sensibiliser leur public au respect des gestes barrières. Une stratégie électorale en partie payante, mais à courte vue? La fonction présidentielle pourrait bien pâtir une nouvelle fois d’une telle désacralisation.

«Alors, je vous lance un défi, faites une vidéo pour expliquer ces gestes, l’importance de les respecter, de ne pas nous rassembler, de ne prendre aucun risque, de ne pas avoir de grands regroupements, faire au maximum le télétravail», propose le Président dans cette vidéo tournée vraisemblablement à l’Élysée.

Si la vidéo dépasse les 10 millions de vues, Emmanuel Macron s’engage à inviter McFly et Carlito à l’Élysée. Deux jours plus tard, le «clip gestes barrières» était disponible sur la chaîne YouTube de ces derniers. On peut y avoir les deux compères entonner: «Je te promets Manu, je vais faire gaffe, pour mes enfants et pour la France.» Dans leur pari, le duo propose également au Président de participer avec lui, à l’Élysée, à un concours d’anecdotes. Avec des gages à la clef.

Ce lundi 22 février, le cap des 6 millions de la vidéo de McFly et Carlito avait été franchi. Les deux vedettes des réseaux sociaux cumulent plus de 6,3 millions d’abonnés. Le Président ne s’est pas trompé de cible. Ce n’est pas la première fois que l’Élysée use de cette stratégie pour s’adresser aux plus jeunes.

«C’est dur d’avoir 20 ans en 2020»

Le vendredi 4 décembre, le Président de la République répondait aux questions des internautes sur Brut. Un média Web très en vogue chez les 18-24 ans. Une première pour une interview présidentielle.

​En pleine crise sanitaire, viser la jeunesse pour enrayer la circulation du virus est une stratégie légitime: plus d’une fois depuis le début de la crise, les adolescents et jeunes adultes ont été pointés du doigt pour leur légèreté dans le respect des normes sanitaires.

Emmanuel Macron a visiblement changé son fusil d’épaule, en rejetant l’option de la culpabilisation. Au cours d’un entretien télévisé au mois d’octobre 2020, le Président déclarait ne «pas faire la leçon» aux jeunes en les appelant, avec un ton plus compassionnel qu’autoritaire, à «faire un effort» durant «quelques mois».

«C’est dur d’avoir 20 ans en 2020 parce que ce sont ceux qui vivent un sacrifice terrible. Quand on est jeune, on fait la fête, on a des amis. Je ne culpabiliserai personne», reconnaissait-il devant la présentatrice Anne-Sophie Lapix.

Des propos qui lui permettent de soigner son image auprès des plus jeunes, mise à mal par la crise du Covid. Notamment auprès des étudiants, qui ont le sentiment d’avoir été abandonnés. Une opinion partagée par la plupart des Français, puisque 65% d’entre eux estiment que la jeunesse est «actuellement la plus pénalisée par la crise sanitaire et ses conséquences», selon un sondage Odoxa pour Le Figaro et France info. Les deux youtubeurs ne s’y sont pas trompés, en adressant les futurs revenus générés par les 10 millions de vues à la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE).

Un homme portant un masque à Paris, image d'illustration  - Sputnik Afrique, 1920, 20.11.2020
Pour une large majorité des Français la jeunesse actuelle est «sacrifiée» en raison du Covid, selon un sondage

Dans sa vidéo, Emmanuel Macron prenait bien soin de mentionner en introduction le dernier défi «maradon» de McFly et Carlito. Celui-ci avait permis de récolter plus de 400.000 euros pour le personnel soignant. Une manière subtile de légitimer par avance son propre coup de com’. Et d’anticiper les critiques attendues sur le ridicule d’une telle démarche. 

Il n’en reste pas moins que la stratégie présidentielle porte déjà, vraisemblablement, ses fruits. La cote de confiance du chef de l’État progresse chez les 18-24 ans où elle approche les 50% selon le baromètre Elabe pour Les Échos et Radio Classique. Un record en comparaison des autres générations, parmi lesquelles le Président est bien moins populaire. Mettre les youtubeurs dans sa poche est peut-être intéressant en politique puisque ce sont de vrais médiateurs pour les plus jeunes. Cependant, la médaille peut avoir un revers en termes de crédibilité.

Il faut que jeunesse se chasse

En troquant la posture présidentielle de son début de mandat pour une familiarité tout adolescente auprès des plus jeunes, le Président a misé double. Ce succès auprès des 18-24 ans lui permet de contourner les accusations d’atteintes aux libertés dont il est la cible depuis plusieurs mois. Notamment parmi les plus jeunes. Il en va de même pour les violences policières.

​L’interpellation musclée du producteur de musique, Michel Zecler, a été très largement diffusée et commentée sur les réseaux sociaux privilégiés par la jeunesse. Une étude Elabe pour BFM TV parue en décembre 2020 révélait que, chez les 18-24 ans, presque un sondé sur deux (47%) n’avait pas confiance dans la police.

Ces coups de com’ du Président sont aussi à regarder dans la perspective de l’échéance présidentielle qui s’approche à grands pas. En 2017, au premier tour, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen étaient plus populaires chez les 18-24 ans. Jean-Luc Mélenchon l’a bien compris en acceptant de se rendre sur le plateau de Cyril Hanouna, très suivi par la jeunesse.

Près d’un million de téléspectateurs, que convoite également le Président de la République, qui entretient des rapports privilégiés avec l’animateur vedette de Balance ton post. N’hésitant à pas à mandater certains de ses ministres sur le plateau de l’émission, comme Marlène Schiappa. Des participations de la classe politique à un programme de divertissement qui n’avaient pas été du goût du tout le monde.

Vision tactique, manque stratégique

Les récentes mesures inspirées de la Convention citoyenne, notamment l’annonce d’une modification de la Constitution dans un sens plus écologique, s’inscrivent dans cette démarche électorale à destination des plus nouveaux électeurs. De l’appel de la jeune militante Greta Thunberg aux actions de Youth for Climate, en passant par les grèves étudiantes pour le climat, Emmanuel Macron a compris la nécessité de répondre à ces attentes. De les entendre, tout au moins.

​Enfin, et peut-être surtout, il ne faudrait pas négliger les accointances idéologiques entre la jeunesse et la vision progressiste défendue par Emmanuel Macron. Le «Penser printemps» du Président de la République s’accommode des appels pour un «Nouveau Monde» de la jeunesse. En témoigne l’intitulé du projet de loi «climat et résilience», sorte de va-tout écologique du Président, dont l’intitulé traduit l’ancrage optimiste de la pensée d’Emmanuel Macron. En accord avec les espoirs de cette jeunesse sensibilisée à la question écologique et au devenir de la planète bleue.

Reste que cette vision à court terme risque fort d’entacher, une nouvelle fois, la fonction présidentielle. La soirée électro à l’Élysée lors de la Fête de la musique de 2018, de même que la rencontre très collé-serré avec de jeunes délinquants à Saint-Martin, avaient déjà entamé ce processus de désacralisation. Une telle horizontalité des rapports de pouvoirs aura très certainement de lourdes conséquences dans l’avenir sur l’exercice du pouvoir par les prochains Présidents.

​On se souvient que celui qui avait défendu une «présidence normale» avait fini son quinquennat sur des records d’impopularité. La posture du «monarque républicain», qu’on pensait surannée, pourrait être encore bien réconfortante dans l’inconscient collectif des Français.

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