Qui se souvient qu’EDF et GDF Suez étaient naguère les deux plus gros producteurs mondiaux d’électricité? Tous deux contrôlés par l’État, ils appartenaient donc aux Français. GDF Suez (rebaptisé Engie) a été scindé puis privatisé, suite à l'ouverture du marché de l'énergie en 2007, elle-même impulsée par les textes européens. Quant à EDF, bien que transformée en société anonyme sur ordre de Bruxelles, elle conserve une place trop importante sur le marché énergétique français, vu du Berlaymont (siège de la Commission européenne). L’UE souhaite depuis des années le démantèlement de l’établissement public.
Pourtant en France, où l’on préfère pudiquement parler de «réorganisation» , la responsabilité européenne est estompée. Les médias mettent ainsi l’accent sur les difficultés financières du groupe, stigmatisent le vieillissement du parc nucléaire et se gargarisent à propos du «défi de la transition énergétique»… Pourtant, une bonne partie de ces difficultés découlent des règles imposées par l’UE!
EDF affiche en effet un déficit record. Les pertes sont dues aux lourds investissements et aux retards massifs dans l’EPR. Elles résultent aussi d’autres problématiques structurelles, lesquelles ne disparaîtront pas avec cette «réorganisation». Surtout, l’impact de la concurrence exigée par Bruxelles ainsi que le coût des énergies renouvelables ne sont pas négligeables. Bien au contraire!
Scission d’EDF, une décision absurde et contre-intuitive
Afin de créer et de maintenir en France une concurrence sur le marché de l’énergie, EDF doit d’abord céder à prix cassé le quart de sa production électrique à ses concurrents privés (on parle là d’une électricité produite grâce à des infrastructures payées par les impôts des Français). Mais également racheter à un tarif réglementaire préférentiel l’énergie produite par les parcs éoliens et photovoltaïques privés.
Cette combinaison délétère devrait être, paradoxalement, aggravée par le fameux projet Hercule, pourtant présenté comme un remède aux problèmes du groupe.
S’il est prévu de conserver le nucléaire «EDF Bleu» et ses dépenses structurelles ainsi que la gestion du transport et du réseau (RTE) dans le giron public, la filiale énergies renouvelables «EDF Vert», les activités commerciales et de distribution (Enedis) seraient quant à elles en partie privatisées. Un comble, étant donné que les centrales éoliennes et photovoltaïques détenues par le groupe public ne génèrent justement pas de surcoût, EDF ne rachetant pas à prix d’or l’électricité de ses propres éoliennes.
«On donne l’opportunité aux investisseurs de se remplir les poches avec des bénéfices qui proviennent de tarifs subventionnés», s’emporte au micro de Sputnik l’essayiste Fabien Bouglé, auteur de «Éoliennes: la face noire de la transition écologique» (éd. du Rocher, 2019) qui fustige un projet «absolument honteux».
Du côté des médias, le ton est globalement au relativisme et aux comparaisons avec nos «voisins européens». S’il y a encore une dizaine d’années les Français obtenaient en bout de course l’électricité la moins chère d’Europe, ceux-ci demeurent toujours dans la moyenne. Pourquoi ne pas leur demander un effort supplémentaire? sous-entendent certains chroniqueurs. Un raisonnement qui omet toutefois que, par le biais des impôts et autres taxes, les Français financent les centrales qui produisent leur électricité «pas chère».
Quant au sort incertain des installations hydroélectriques, amorties, qui «intéressent beaucoup les boursicoteurs», les «fact checkers» s’emploient à rassurer l’usager-contribuable: il ne s’agit pas d’une privatisation des barrages, mais de l’exploitation des concessions, nuance! En somme, le même modèle que pour les autoroutes. Il n’y a pas de quoi rassurer les Français. Au contraire! Bien que Bruxelles s’agace de voir EDF garder la mainmise sur les concessions des barrages, le groupe demeure un «établissement public» contrôlé par l’État avec une logique de rentabilité différente de celle d’un groupe privé. D’autant que les infrastructures ont déjà été payées et entretenues par l’argent du contribuable.
«On a un véritable État profond éolien»
Comment le gouvernement peut-il contrevenir à l’intérêt général en s’engageant dans un projet tel qu’Hercule? Celui-ci semble à première vue taillé pour les investisseurs dans les énergies renouvelables qui profiteront de moyens de production amortis, voire lourdement subventionnés. Le tout aux dépens des finances d’EDF et, à terme, des Français.
Au-delà des pressions des autorités européennes, auxquelles Paris veut donner des gages, pour l’écologiste Fabien Bouglé la réponse est à chercher du côté de ceux qui tiennent les rênes de la politique énergétique… Des décideurs pas toujours désintéressés.
Notre interlocuteur s’interroge notamment sur la sincérité de l’Agence de la transition écologique (ADEME). Cette instance valide les politiques gouvernementales et prône l’accroissement du recours à l’éolien en France, alors même qu’une opération de cession a révélé que l’agence détenait des actions dans un parc éolien offshore en Allemagne. Autre cas qui interpelle Fabien Bouglé, le choix de Pauline Le Bertre, ex-déléguée générale de France énergie éolienne (l’un des deux lobbys des industriels du secteur en France), comme nouveau conseiller personnel du président de RTE.
Celui-ci, Xavier Piechaczyk, est l’ex-conseiller logement, transports, énergie et environnement de François Hollande et de Jean-Marc Ayrault. Il a lui-même été coopté par François Brottes, son prédécesseur à la tête de RTE, également ex-conseiller du président socialiste. François Brottes avait rédigé la loi de libéralisation du marché de l’éolien en France, avant d’être propulsé à la tête de la filiale d’EDF.
«Vous avez une arborescence de gens, tous en liaison les uns les autres, qui ont infiltré les instances décisionnaires. Le problème, il est là: la filière éolienne a installé dans les postes à responsabilités de l’électricité française des personnes qui assurent la promotion de ses intérêts», avertit Fabien Bouglé, qui déononce «un véritable État profond éolien».
RTE a validé fin janvier le scénario proposé par Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, d’une France convertie à 100% aux énergies renouvelables d’ici à 2050 et donc totalement dénucléarisée.