Malgré un second confinement et des mesures sanitaires restrictives, le chômage a fortement reculé lors du quatrième trimestre 2020 selon l’Insee. Le nombre de demandeurs d’emploi au sens du Bureau international du travail (BIT) a baissé de 340.000 pour atteindre 2,4 millions en France (hors Mayotte). D’octobre à décembre, le taux de chômage a chuté de 1,1 point pour s’établir à 8% de la population active. Et ce après le bond de deux points du trimestre précédent. Mieux encore, le taux de chômage est quasi stable (–0,1 point) par rapport à la fin 2019.
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— Le Parisien Infog (@LeParisienInfog) February 17, 2021
Alors, champagne? Henri Sterdyniak, membre du collectif des Économistes atterrés et chercheur à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), appelle au micro de Sputnik à ne pas se réjouir trop vite:
«De tels chiffres perdent leur validité dans la situation actuelle. Ils reposent sur la définition du Bureau international du travail (BIT) qui veut que, pour être considéré comme chômeur, il faut avoir recherché un emploi de manière effective. Or lorsque l’on est dans une situation de confinement, un certain nombre d’individus ne peuvent pas procéder à ces recherches.»
L’économiste souligne que de nombreuses entreprises n’accueillent pas les demandeurs d’emploi puisque qu’elles sont dans l’incapacité d’embaucher, vu la conjoncture. De plus, certains secteurs comme la restauration, l’événementiel ou la culture sont quasi à l’arrêt. Les personnes susceptibles de rechercher un poste dans ces domaines reportent leurs démarches. «Si vous recherchez un emploi de cuisinier actuellement, vous restez chez vous», lance Henri Sterdyniak.
Le taux d’activité en baisse
De nombreux demandeurs d’emplois se retrouvent donc hors des statistiques. Comme le précise Henri Sterdyniak, pour être considéré comme chômeur au sens du Bureau international du Travail (BIT), il est nécessaire d’avoir effectué une démarche de recherche d'emploi au cours des quatre dernières semaines. Il faut également se déclarer disponible dans les deux semaines pour occuper un poste.
L’Insee modère ses propres chiffres: «Cette baisse est pour partie en "trompe-l’œil": en raison du second confinement, entre le 30 octobre et le 15 décembre, un nombre important de personnes ont basculé vers l'inactivité, faute notamment de pouvoir réaliser des recherches actives d'emploi dans les conditions habituelles.»
Un tel contexte se ressent sur le taux d’activité qui a diminué de 0,2 point lors du quatrième trimestre. La chute est encore plus marquée chez les 15-24 ans (–0,9 point).
Des chiffres à (fortement) nuancer donc, mais de bons chiffres tout de même pour Sylvain Larrieu. Le chef de la division synthèse et conjoncture du marché du travail à l'Insee note, par exemple, «la bonne surprise» du faible recul de l’emploi salarié au dernier trimestre 2020 (-0,2%). Même son de cloche du côté d’Éric Heyer, directeur du département analyse et prévision à l'Observatoire français des conjonctures économiques. Il a confié à l’AFP: «Ces chiffres sont tout de même bons par rapport à ce qu'on anticipait il y a deux ou trois mois. La récession est moins marquée, donc il y a moins de destructions d'emplois.»
Autre donnée d’importance pour expliquer l’embellie statistique: le chômage partiel. En décembre, 2,4 millions de salariés bénéficiaient encore du dispositif de soutien phare du gouvernement. D’ailleurs, l’Insee souligne que le nombre de personnes en «sous-emploi» a crû d’un million en un an.
Les taux actuels d'activité partielle seront prolongés jusqu'à fin mars : 0 reste à charge pour les secteurs les plus touchés par la crise, 15% pour les autres.
— Elisabeth BORNE (@Elisabeth_Borne) February 16, 2021
Nous resterons mobilisés pour protéger les emplois et les entreprises aussi longtemps que la crise le nécessitera. pic.twitter.com/moumt4gUdN
Élisabeth Borne, ministre du Travail, a annoncé la prolongation jusqu’à fin mars de la prise en charge du chômage partiel à 100% dans les secteurs les plus touchés. Taux ramené à 85% dans les autres activités.
D’après le ministère du Travail, la prise en charge de l'activité partielle aura coûté la bagatelle de 27,1 milliards d'euros en 2020. De plus en plus de voix s’élèvent pour avertir de la fin prochaine du «quoi qu’il en coûte» prôné par Emmanuel Macron. En janvier dernier, le ministre délégué chargé des Comptes publics, Olivier Dussopt, avertissait: «Si 2021 marquera la fin de la crise et de la pandémie comme tout le monde l'espère, il faut aussi que 2021 marque la sortie du “quoi qu'il en coûte”.»
Éric Heyer souligne auprès de l’AFP que les décisions du gouvernement quant à la prise en charge de l’activité partielle seront déterminantes dans l’évolution du nombre de demandeurs d’emplois: «Si le gouvernement la réduit, il est possible que certaines entreprises se disent que ça leur coûte trop cher et licencient. Le rebond attendu de la croissance, de 4 à 6%, se traduirait alors paradoxalement par une forte hausse du chômage.»
Henri Sterdyniak ne s’inquiète pas à très court terme:
«Compte tenu de la situation, le gouvernement est obligé de maintenir les dispositifs d’aides, qu’il s’agisse du chômage partiel ou du soutien aux travailleurs précaires, etc. L’exécutif se doit de maintenir un filet de protection pour ces personnes jusqu’au moment où la crise sanitaire va s’arrêter. Au plus tôt, sans doute, en septembre 2021.»
Henri Sterdyniak promet une rentrée compliquée pour le gouvernement. Selon lui, les dispositifs d’aide vont s’arrêter progressivement. Il faudra alors dresser un bilan et regarder quelles entreprises peuvent repartir et lesquelles doivent s’arrêter. «Un tri délicat sera nécessaire. On va dire à certaines entreprises: "De toute façon vous étiez déjà en mauvaise santé avant la crise et il faut vous déclarer en faillite." On va expliquer à d’autres qu’elles sont dans des secteurs qui sont amenés à souffrir comme l’aéronautique, le tourisme, etc. Celles-ci devront donc se reconvertir. Enfin, on en aidera d’autres parce qu’on considérera qu’elles ont été frappées de façon temporaire par la crise et qu’elles ont un avenir», prévoit l’économiste.
«Plus ou moins obliger» les entreprises à embaucher des jeunes
Notre intervenant affirme que le gouvernement doit abandonner sa réforme de l’indemnisation du chômage. Ses adversaires jugent qu’elle diminue les droits des demandeurs d’emploi. «Pour rappel, quatre mesures de la réforme ont été suspendues et reportées, au moins jusqu’au 1er avril 2021. Et elles feront l’objet d’ajustements d'ici là. Ces quatre mesures sont les suivantes: le durcissement des conditions pour ouvrir des droits, la modification du mode de calcul du salaire journalier de référence qui conduirait à une baisse des allocations chômage, la dégressivité de l’indemnité pour les hauts revenus et le bonus-malus sur les contrats courts», rapporte Capital.
Henry Sterdyniak assure que, au contraire, l’exécutif «devra mettre en place un soutien économique pendant quelques temps». «C’est le grand débat qui animera le quatrième trimestre 2021», affirme-t-il.
Étudiants: ruée sur l'aide alimentaire pic.twitter.com/l22u6RoOW8
— BFMTV (@BFMTV) February 9, 2021
Le membre des Économistes atterrés se préoccupe de la situation des jeunes. Du côté des points positifs, on peut noter que la part des 15-29 ans sans emploi ni formation a diminué de 0,5 point lors du dernier trimestre 2020. «Chez les jeunes, on a permis, grâce aux aides le recrutement de 1,2 million de CDI ou de CDD de plus de trois mois entre août et décembre, soit quasiment autant qu'en 2018 et 2019», s'est félicitée le 16 février Élisabeth Borne sur BFM Business.
Mais beaucoup d’entre eux, notamment les étudiants, sont en grande difficulté. Les images montrant ces derniers faisant la queue dans le froid pour obtenir de l’aide alimentaire se multiplient sur les réseaux sociaux. «La situation des jeunes est encore plus dramatique que celle du reste de la population. En septembre, deux générations de diplômés, les 2020 et les 2021, vont entrer sur un marché du travail sinistré», alerte Henri Sterdyniak. D’après lui, Emmanuel Macron et l’exécutif vont avoir fort à faire pour gérer le problème:
«Le gouvernement devra prendre des mesures extrêmement fortes. Non seulement pour accompagner les jeunes vers la recherche d’emploi, mais également pour plus ou moins obliger les entreprises à en embaucher. Sinon, on ne s’en sortira pas.»