La diaspora camerounaise saisira-t-elle enfin la main tendue de Paul Biya? Dans son traditionnel message à la jeunesse le 10 février dernier –à la veille de la célébration de la fête nationale de la jeunesse du 11 février–, le chef de l’État du Cameroun s’est une fois encore adressé à la diaspora de son pays.
«Si vous allez à la conquête du monde, revenez construire votre pays», a appelé Paul Biya.
«C’est en agissant ainsi, chers jeunes compatriotes, que vous apporterez efficacement votre contribution à la construction d’un Cameroun fort, uni, démocratique, décentralisé et émergent à l’horizon 2035. Je sais que vous en êtes capables. Et je compte sur vous», a-t-il conclu.
En signe d’encouragement, il a cité des exemples de réussite tels «le physicien Arsène Stéphane Tema Biwole à la General Atomics, le mathématicien et informaticien Thystère Djob Mvondo qui vient de soutenir avec brio sa thèse de doctorat à 22 ans, l’écrivaine Djaïli Amadou Amal qui a remporté, comme vous le savez, le prix Goncourt des lycéens 2020».
Un contexte de désamour
Ce message du Président camerounais arrive dans un contexte assez tendu. En effet, une partie de cette diaspora s’est illustrée ces dernières années par un activisme violent contre le pouvoir de Yaoundé. Agacés par les crises sociopolitiques dans leur pays, de nombreux militants installés à l’étranger expriment encore de façon régulière bruyamment leur mécontentement face à la gestion des affaires internes et n’hésitent pas à réclamer le départ de Paul Biya. D’ailleurs depuis la dernière présidentielle, ce dernier fait l’objet d’une véritable chasse à l’homme lors de ses déplacements en Europe.
Par cette nouvelle déclaration, Paul Biya peut-il reconquérir les cœurs de la diaspora camerounaise? Pour David Eboutou, analyste politique et consultant permanent dans un média privé au Cameroun, le chef de l’État «inscrit aujourd’hui son action dans une approche conciliante».
«Le ton qu’il utilise aujourd’hui n’est plus celui qu’il employait il y a quelques années, preuve peut-être qu’il s’évertue maintenant davantage à rassembler. En plus, notre pays traverse une violente crise sécuritaire, avec ses conséquences économiques, et l’histoire nous montre très bien le rôle joué par les diasporas dans tous les pays qui ont connu des balbutiements dans leur processus de construction», souligne l’analyste.
Les préalables pour un retour efficient
Au lendemain de l’appel présidentiel, le débat autour du traitement accordé à la diaspora a été relancé dans l’opinion et sur les réseaux sociaux. Si les activistes radicaux conditionnent toute action forte en direction de leur pays par la chute du pouvoir de Yaoundé, de nombreux autres Camerounais de l’étranger militent pour la mise en place d’un meilleur cadre et des structures d’accompagnement pour faciliter et encourager le retour. «Il faut continuer de rassurer cette diaspora. La rassurer à travers des discours fédérateurs, conciliants et motivateurs», suggère pour sa part David Eboutou.
«Il faut inventer et mettre sur pied des mécanismes qui garantissent à la diaspora toute la sécurité et la confiance nécessaires dans leur volonté à vouloir contribuer au développement de leur pays», poursuit l’analyste.
Parmi ces préalables à une meilleure contribution de la diaspora camerounaise à la construction de la nation figure en bonne place la question du cumul des nationalités. En effet, depuis 1968, pour contrer les ambitions d’une diaspora déjà hostile au pouvoir en place, le Cameroun a opté pour une interdiction totale du cumul des nationalités. Dans le pays et en dehors, une partie très importante de l’opinion s’accorde sur la nécessité de faire sauter ce verrou.
Mi-juillet 2020, cette préoccupation revenait déjà à l’occasion de la série de concertations lancée par le Réseau parlementaire de la diaspora, de la coopération décentralisée et transfrontalière (REP-COD) pour permettre aux ressortissants camerounais à l’étranger de participer de manière plus efficace à la construction de la nation.
«Cette option doit être sérieusement envisagée. Dans un monde aussi dynamique et mobile que le nôtre, le Cameroun ne peut plus continuer à s’encombrer de cette interdiction du cumul de nationalités», argue David Eboutou.
Dans une interview à Sputnik en août 2020, le député Henri Louis Ngantcha, président de REP-COD, relevait l’importance de cette revendication et entendait la porter au niveau des instances décisionnelles.
Tout ceci expliquerait-il la faible participation financière de la diaspora camerounaise à la croissance économique du pays à travers les transferts de fonds? Selon un rapport récent du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), les transferts de la diaspora représentaient environ 0,9% du PIB du Cameroun contre près de 10% du PIB au Sénégal, 7% au Mali ou 5% au Nigeria.