«Sciences porcs»: quand l’affaire Duhamel fait tomber la direction de Sciences Po

© AFP 2024 ULYSSE BELLIEROlivier Duhamel et Frédéric Mion, directeur de Sciences Po
Olivier Duhamel et Frédéric Mion, directeur de Sciences Po - Sputnik Afrique, 1920, 11.02.2021
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Acculé depuis les accusations de pédophilie visant Olivier Duhamel, dont il est soupçonné d’avoir caché les agissements, le directeur de Sciences Po Paris, Frédéric Mion, vient d’être provisoirement remplacé. Sa démission intervient dans le sillage de multiples scandales sexuels étouffés par l’institution. Retour sur une affaire dans l’affaire.

Poussé à la démission depuis plusieurs semaines, Frédéric Mion entendait conserver son poste à la tête de Sciences Po. Pour ne pas mettre l’école en difficulté, arguait-il. La force des réseaux sociaux et les révélations sur ses mensonges en auront décidé autrement. Mardi 9 février, le directeur de la prestigieuse institution adressait un courrier électronique à l’ensemble des élèves et des professeurs pour leur annoncer son départ. Reconnaissant «des erreurs de jugement», il mettait en avant sa volonté de «préserver» l’établissement pour justifier… son départ!

Une décision que réclamaient la plupart des élèves et qui est un soulagement, indique Thomas Le Corre, interrogé par Sputnik. Pour le président de l’UNEF Sciences Po (Union nationale des étudiants de France), la démission du directeur est un premier pas vers une réforme profonde de l’institution.

«Nous considérons qu’il a très lourdement fauté et que, en plus d’avoir fauté, il a menti. Le rapport auquel nous aurons bientôt accès a l’air accablant», avance l’élu étudiant.

Celui qui représente les étudiants au Conseil de l'Institut et à la Fédération nationale des sciences politiques (FNSP) n’est cependant pas dupe. Les bouleversements profonds qu’il espère ne se feront pas en un jour, mais réclameront plusieurs années de travail. En attendant la désignation d’un nouveau directeur, la nomination de Bénédicte Durand au poste d’administratrice par intérim n’emballe pas les élèves. L’actuelle directrice de la formation initiale n’incarne pas le changement à proprement parler!

«Nous nous satisfaisons de savoir qu’une personne occupe statutairement le fauteuil directorial. Cela nous permet d’avoir un interlocuteur. Ce qui n’était pas le cas durant quarante-huit heures. En revanche, il ne faut pas se leurrer… Bénédicte Durand est le numéro deux depuis de nombreuses années. Elle a cautionné tout ce qui a ou n’a pas été fait en termes de violences sexuelles», accuse notre interlocuteur.

À en croire l’élu étudiant, l’Institut d’études politiques de Paris serait confronté à un problème systémique, duquel se seraient rendus complices directement ou non les principaux cadres. Thomas Le Corre veut voir l’école réformer toute son administration au plus vite.

Un homme qui a couvert les agissement d’«un pédophile»

Frédéric Mion est accusé d’avoir tu les agissements d’Olivier Duhamel, alors maître de conférences, conseiller spécial du directeur et président de la FNSP. L’éminent politologue se serait rendu coupable d’abus sexuels sur le fils de sa compagne, mineur au moment des faits. Lui-même successeur du sulfureux Richard Descoings –retrouvé mort en 2012 dans des circonstances étranges au Sofitel de New York–, Mion aurait été alerté sur le comportement de Duhamel dès 2018 par Aurélie Filippetti (PS). Le haut fonctionnaire se serait efforcé de garder l’affaire secrète. Pas question d’entacher la réputation de son ami et conseiller, ni de lui ôter ses titres honorifiques.

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Plus accablant encore, Frédéric Mion a fini par confier son lourd secret à Marc Guillaume, aujourd’hui préfet de Paris et à l’époque membre de la FNSP. Face aux enquêteurs de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGSER), l’ex-directeur niera avoir partagé les révélations d’Aurélie Filipetti. Il prétendra au contraire n’avoir pas ébruité l’affaire par peur d’impliquer des personnes mises au courant. Patatras! ce mensonge sera mis en lumière par Marc Guillaume lui-même, à son tour interrogé par les mêmes inspecteurs, comme le révèle une enquête du Monde. Mion ne serait donc absolument pas la victime collatérale de ses amitiés, insiste Thomas Le Corre: «Lorsque l’on dirige un IEP, on connaît l’importance de l’image et on fait le boulot, non pas pour cacher ces révélations, mais pour les vérifier.»

«Vous êtes directeur d’un IEP, on vous donne des informations sérieuses selon lesquelles la personnalité la plus éminente de l’institut est peut-être à l’origine de crimes pédophiles, votre réaction peut-elle être d’aller voir le meilleur ami de l’intéressé? Non! Et d’aller voir le secrétaire général de l’Élysée pour conclure qu’il ne faut pas en parler? Non plus!» tonne le président de l’UNEF Sciences Po.

Pour l’étudiant de la rue Saint-Guillaume, si l’affaire Duhamel a permis de lever des tabous et la loi du silence qui règne dans la plupart des IEP en France, la parole aurait fini par se libérer tôt ou tard sur l’état d’esprit ambiant. Pour autant, l’accompagnement des élèves reste insuffisant, déplore-t-il.

Libérer la parole étouffée des étudiants

Lancé en début de semaine sur Twitter, le hashtag #sciencesporcs a mis en lumière un grand nombre d’abus sexuels ou d’actes sexistes survenus au sein des instituts et passés sous silence.

Des centaines de témoignages ont rendu publique une absence totale de prise en charge des victimes et surtout une complaisance envers les coupables. On y apprend ainsi que, dans différents campus tels que Toulouse ou Bordeaux, des faits de viols par des élèves n’ont fait l’objet d’aucune réaction de la direction alors qu’ils étaient pourtant connus de tous. «Aucune annonce de l'administration pour protéger qui que ce soit, alors que tout le monde savait que ça avait eu lieu», peut-on lire, tandis que d’autres rapportent de simples changements d’IEP afin de séparer la victime de l’agresseur, ou encore un «élève autorisé à redoubler» afin d’être réintégré dans la promotion suivante.

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Thomas Le Corre le confirme: Sciences Po manque cruellement d’un système d’écoute et de prise en charge des victimes. «Jusqu’à présent, pour certains campus, seule une adresse mail était mise à disposition et un numéro de téléphone centralisés à Paris, regrette l’étudiant. Ajoutez à cela, la peur de parler, car la victime sait que ses supérieurs sont complaisants et la parole est cloisonnée.»

La libération générale de la parole aura néanmoins permis deux sortes de mobilisations dans les instituts, se félicite le syndicaliste étudiant: «l’une par le haut avec Duhamel, l’autre par le bas avec #sciencesporcs», résume-t-il.

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