Après l’alerte au cyclone, la Nouvelle-Calédonie est dans la tourmente politique. Les indépendantistes du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) ont démissionné le 2 février du gouvernement collégial, entrainant de facto sa chute.
Comptant cinq sièges de l’exécutif sur onze, ceux-ci ont dénoncé «l’impasse et l’immobilisme», quitte à aggraver la crise dans l’archipel, où le rachat de l’usine de nickel du Sud est devenu un enjeu politique majeur. Dans la lettre de démission adressée au président loyaliste du gouvernement, les dirigeants indépendantistes ont ainsi invoqué le «processus de vente» du site industriel du brésilien Vale, «qui fait primer les intérêts des multinationales sans considération des aspirations des populations locales.»
Une stratégie pour faire capoter la vente de l’usine
«C’était prévisible», estime Bastien Vandendyck, spécialiste de la géopolitique du Pacifique au sein du cabinet de conseil Vae Solis. Il évoque «la résultante d’un jeu d’alliances» avec l’Éveil océanien, parti charnière au Congrès, issu de la communauté wallisienne et futunienne, à même de faire et défaire les majorités. Milakulo Tukumuli, son leader, a ainsi estimé que la décision des indépendantistes visait clairement à «bloquer la cession de l’usine de Vale», précise l’AFP. Pour l’analyste, la décision du FLNKS était également prévisible, car «les indépendantistes ont tout intérêt à faire tomber le gouvernement pour le récupérer» dans une telle séquence.
«Ce qui permet d’élire ce congrès, ce sont les équilibres de pouvoir. Or, le congrès est divisé aujourd’hui en deux parties ennemies. Vous avez une partie indépendantiste qui a 26 sièges, une partie loyaliste qui a 25 sièges et l’ensemble du congrès, c’est 54 sièges. Les trois restants appartiennent à l’Éveil océanien.»
Étant favorable au report de la vente de l’usine, ce dernier parti pourrait prochainement former une majorité avec le FLNKS. «Avec la chute du gouvernement, les négociations sont suspendues», reportant alors sine die la cession de l’usine. En «bloquant les échanges et les discussions» jusqu’à déclencher une crise institutionnelle, les indépendantistes font fi de la «crise économique et sociale», des «frictions et des déchirements» en Nouvelle-Calédonie. Mais ont-ils intérêt au chaos?
«En tout cas, ils ne font pas grand-chose pour le réduire quand on voit le positionnement jusqu’au-boutiste qu’ils ont sur l’usine, au risque de la faire arrêter et de condamner trois mille emplois.»
Vandendyck rappelle qu’à plusieurs reprises, les indépendantistes ont quitté la table des négociations, préférant parfois des échanges directs avec Paris, laissant de côté les autres partis politiques de l’île. Il prévient que face à ces luttes politiciennes où les «deux camps ont tout le mal du monde à discuter», c’est l’avenir de 300.000 personnes qui «est en jeu».
L’État, juge et partie
Si l’État français a choisi la neutralité en organisant les deux référendums de 2018 et de 2020, il pourrait bien cette fois s’ériger en «juge de paix», tant les enjeux –tant diplomatiques qu’économiques et environnementaux– sont cruciaux.
Le discours d’Emmanuel Macron à Sydney en 2018 avait donné le ton sur l’importance de l’axe indopacifique et la proximité française avec l’Australie, face aux ambitions de la Chine avec ses Nouvelles Routes de la Soie. C’est dans ce contexte que le Caillou, dont le sous-sol regorge de nickel, suscite l’appétit de Pékin.
J’ai eu le plaisir d’échanger avec son excellence Gillian Bird, ambassadeur d’Australie en France. Par sa proximité avec la Nouvelle-Calédonie, l'Australie est un partenaire naturel de la France dans l'Océan Pacifique. Nous avons réaffirmé la bonne coopération entre nos 2 pays. pic.twitter.com/HOfs9AcGcO
— Sébastien Lecornu (@SebLecornu) February 2, 2021
«Malgré tout ça, l’État conserve une place assez neutre», constate l’analyste, qui évoque une volonté de «responsabiliser les acteurs locaux», ceux-là mêmes qui aspirent à «une grande autonomie, pour certains même une indépendance». Ils ne peuvent pas «revendiquer tous les quatre matins une forte autonomie», puis dès qu’il y a un problème de gestion sur l’île, «abandonner ce problème à l’État». Le spécialiste de la géopolitique du Pacifique loue ainsi le sérieux de Paris à respecter le «droit international», conformément aux Accords de Nouméa de 1998, et à poursuivre le «processus de décolonisation».
«Maintenant, quand on regarde la situation actuelle sur l’île, quand on voit le ras-le-bol de certaines personnes, quand on voit que certaines personnes sont prises en otage, il me parait assez compliqué de pouvoir conserver une position de la sorte pendant encore très longtemps. Aujourd’hui, ça fonctionne, mais si la situation venait à s’empirer, il est évident que l’État devra s’investir encore plus.»
C’était déjà le souhait de Marine Le Pen le 11 décembre. La présidente du Rassemblement national avait demandé à l’État de reprendre la main face aux tensions, estimant que «le choix prolongé de l’impuissance conduit au chaos». Mais en aura-t-il les moyens?