Naval Group sous le feu des critiques en Australie. Selon l’Australian Financial Review, Scott Morrison, le Premier ministre australien, serait «de plus en plus exaspéré» par les «difficultés» que rencontrerait le programme de sous-marins de classe Attack. Ce «contrat du siècle» de 50 milliards de dollars australiens (31,2 milliards d’euros) avait été remporté par le constructeur naval français en 2016 et concrétisé début 2019 afin de livrer et d’entretenir à partir de 2030 douze sous-marins d’attaque à la Royal Australian Navy.
«L’industrie technologique de l’armement est visée»
Pour autant, ces griefs de l’Australie sont-ils réellement sincères? Si aujourd’hui, la presse française met en avant les 60% du contrat devant être assurés par des sociétés australiennes, elle semble oublier un peu vite ce que doit ce chiffre à… la pression médiatique. Hervé Guillou, ex-PDG de Naval Group, dénonçait en février 2020 une «campagne malveillante» à l’œuvre en Australie. Celle-ci aurait «contraint» Naval Group –selon l’école de guerre économique (EGE) à accorder une hausse de 50 à 60% de la sous-traitance accordée par les Français à des partenaires locaux.
«Cette affaire est instrumentalisée», réagit auprès de Sputnik l’avocat Olivier de Maison Rouge, spécialisé en intelligence économique. «C’est une opération de guerre informationnelle […] de toute évidence, c’est l’industrie technologique de l’armement qui est visée, à travers des actions de guerre informationnelle de déstabilisation», poursuit-il.
Du côté des grands médias, on avance aujourd’hui l’«envie», la «jalousie» que provoquerait un tel contrat de plus de 31 milliards d’euros auprès des concurrents industriels de Naval Group afin d’expliquer cette vendetta politico-médiatique lancée à son encontre.
«Laissez-moi vous dire que je ne crois pas en la libre concurrence en matière d’armement. C’est toujours faussé, il y a toujours des manœuvres et des déstabilisations», tranche l’avocat. «En matière d’armement, il n’y a pas d’entreprise totalement privée, c’est toujours piloté par les États», ajoute-t-il.
Ce dernier rappelle notamment l’affaire de la fuite géante qui avait touché Naval Group (alors DCNS) concernant ses sous-marins Scorpène, fleuron du groupe à l’export, destiné notamment à l’Inde, au Brésil, à la Malaisie et au Chili. En aout 2016, quelques semaines à peine après que le groupe public français ait remporté le fameux «contrat du siècle», The Australian révélait en détail le contenu de 22.400 pages d’information du Scorpène, portant un coup terrible à la crédibilité de l’industriel vis-à-vis de tous ses clients. Le gouvernement australien ne manqua pas de se saisir de l’affaire.
Australie: la France dans le pré carré des États-Unis
Peu de chance aux yeux de Me de Maison Rouge que les Américains tolèrent sur long terme cette présence dans son pré carré, qui plus est dans le contexte du changement d’Administration, qui préfigure un regain de tensions entre Washington et Pékin.
Comme le rappelle l’avocat, les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, la Nouvelle-Zélande et l’Australie entretiennent une collaboration étroite en matière de Défense, qui s’illustrent notamment par le traité du UKUSA (United Kingdom – United States Communications Intelligence Agreement) signé en 1946, en matière de renseignement, et resté secret jusqu’au scandale autour du système mondial d’espionnage Echelon.
Le contrat géant de six milliards de dollars, raflé au milieu des années 1990 par Boeing à la barbe de son concurrent Airbus en Arabie saoudite est un exemple parmi d’autres de la capacité des services secrets américains à intercéder en faveur des groupes US.
«Très clairement, depuis le départ de Trump, on sent que les cartes sont rebattues, qu’un nouvel arc se dessine avec des rangs anglo-saxons qui se resserrent face à l’axe russo-chinois», témoigne le spécialiste en intelligence économique.
Une influence de Washington qui était allée jusqu’à imposer un partenaire américain au constructeur français. En effet, si Lockheed-Martin, le numéro un mondial de l’armement accompagne aujourd’hui le groupe français dans cette aventure, c’est parce qu’en 2016 «l’option française a été rudement controversée. Notamment par les États-Unis, très influents en Australie, et qui ont obtenu que le système de combat (l’“intelligence” technologique) des sous-marins ne soit pas français, mais américain», comme le rappelait Ouest-France le 20 janvier.
La France «a clairement profité des années Trump»
Pour l’avocat spécialiste de l’intelligence économique, la France «a clairement profité des années Trump», tout particulièrement en matière de contrats d’armement. Donald Trump «n’a jamais beaucoup aimé le kaki», insiste Olivier de Maison Rouge, pour qui le retour à la Maison-Blanche d’un Président pro-establishment signe la fin de la récréation pour les intérêts français.
«Il va y avoir une véritable continuité dans la politique antichinoise des Américains, qui sous Trump étaient nationalistes et là on va revenir à des menées impérialistes avec Biden.»
Une «redistribution des cartes» qui devraient subir les intérêts français, tout particulièrement dans la zone indopacifique. Dans le secteur de la Défense, la France figure à la troisième place mondiale. D’après l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), la Chine apparait, après l’Égypte, sur le podium des clients de l’industrie française d’armement entre 2013 et 2017. Sur la même période, la France s’avère être le deuxième fournisseur d’armes de Pékin (14%) après Moscou (65%).
«Aujourd’hui, on cherche à faire rentrer la France dans le rang, très clairement», estime l’avocat «Il va falloir choisir son camp. À partir du moment où il y aura une hégémonie, cela veut dire qu’il y aura des vassaux et on sera à nouveau vassalisé et le meilleur moyen de vassaliser, de soumettre, c’est précisément d’affaiblir», conclut Me de Maison Rouge.