«Le Canada boude la Russie et n’y gagne rien», estime un ex-ambassadeur canadien

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Les relations entre la Russie et le Canada sont au point mort depuis qu’Ottawa a rompu le dialogue en 2014. Une décision rentable? Selon Gilles Breton, ex-ambassadeur canadien à Moscou, Ottawa doit abandonner son «image superficielle de la Russie» et renouer le contact avec Moscou dans l’intérêt des deux pays. Entrevue.

Les relations russo-canadiennes se trouvent dans une impasse depuis que le gouvernement du Premier ministre canadien, Stephen Harper (2006-2015), a pris ses distances de Moscou en 2014.

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À la suite de la réintégration de la Crimée dans la Russie, Ottawa avait décidé d’imposer des sanctions contre Moscou. Des mesures de rétorsion élargies à plusieurs reprises à la suite de la riposte du Kremlin. Les sanctions canadiennes consistent en un «gel des avoirs et une interdiction des transactions» à l’encontre de plusieurs citoyens et entreprises russes. Quant à elle, la Russie a interdit l'entrée sur le territoire du pays à plusieurs responsables canadiens.

Sanctions contre la Russie, une mauvaise stratégie selon l’ex-ambassadeur

L’ex-ambassadeur canadien à Moscou, Gilles Breton, explique au micro de Sputnik qu’il s’agissait là du point de départ de tensions diplomatiques entre les deux pays qui allaient perdurer jusqu’à aujourd’hui. Dans un article paru en novembre dernier dans la revue politique russe Russia in Global Affairs, Gilles Breton et Piotr Dutkiewicz, professeur à l’université Carleton d’Ottawa, déploraient les conséquences d’une posture hostile à la Russie qui remonte à 2014:

«La situation est que nous sommes, jusqu'à présent, incapables et dans une certaine mesure peu disposés à garantir et à promouvoir nos propres intérêts nationaux en Russie et avec la Russie», écrivent-ils dans l’article aussi publié en anglais sur le site de l’université Carleton.

Pour Gilles Breton, la décision d’Ottawa d’imposer un plus vaste éventail de mesures que les autres pays ayant imposé des sanctions est un échec. D’autant plus qu’Ottawa a alors choisi de rompre le dialogue avec le gouvernement russe.

«Le Canada est allé un peu plus loin que les autres pays dans ses sanctions. Un peu comme dans une bouderie matrimoniale, le Premier ministre Harper a pensé qu’il punissait sévèrement la Russie en coupant les ponts et en ne lui parlant plus. C’est un peu ridicule, car à aucun moment nos alliés du G7 n’ont cessé leurs communications avec la Russie», explique-t-il à notre micro.

Comment expliquer un tel désengagement de la part du Canada?

Une situation «improductive»

Chef adjoint de la mission diplomatique du Canada à Moscou de 2008 à 2012, Gilles Breton estime que l’attitude canadienne est trop influencée par la diaspora ukrainienne. Dans son livre Un selfie avec Justin Trudeau publié en 2018 (éd. Québec Amérique), Jocelyn Coulon, ex-conseiller du ministre canadien des Affaires étrangères en 2016-2017, déplore aussi la «place disproportionnée» qu’occupe la question ukrainienne dans la politique étrangère canadienne.

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Cette situation «improductive» ne peut plus durer, souligne Gilles Breton. Surtout parce que Kiev semble plus disposé qu’Ottawa à échanger avec Moscou! Une position «incohérente», selon le président du conseil d’administration de l’Association d’affaires Canada-Russie-Eurasie (AACRE).

«À l’époque des premières sanctions, le Premier ministre Harper avait voulu montrer son soutien à la communauté ukrainienne. [...] D’ailleurs, il n’est pas rare que les diasporas, quelles qu’elles soient, soient plus nationalistes que les gouvernements mêmes des pays d’où elles viennent. Il est assez cocasse que l’Ukraine parle à la Russie alors que le Canada s’y refuse», souligne-t-il.

 Mais, au-delà de l’influence de la diaspora ukrainienne, Gilles Breton observe que plusieurs politiciens au Canada «ont de la difficulté à se détacher des idées reçues sur la Russie» et qu’ils comprennent mal le «fonctionnement» de ce pays.

«Une image superficielle et simpliste» du pays de Tolstoï

Cette «image superficielle et simpliste de la Russie» met aussi un frein au maintien de bonnes relations. En s’interdisant de dialoguer avec Moscou, Ottawa s’exclut de discussions cruciales. Le pays à la feuille d’érable se prive d’informations sur d’importants conflits, comme ceux qui ont sévi en Syrie et dans le Haut-Karabakh notamment.

«Le Canada boude la Russie et n’y gagne rien. [...] On ne demande pas nécessairement à Ottawa de changer son opinion, mais son approche... Il commence vraiment à être temps de reprendre des échanges suivis avec la Russie. Il faut être à la table des discussions, car on se prive de moyens d’action et on se bâillonne soi-même», insiste l’ex-ambassadeur, qui a été trois fois en poste à Moscou durant sa carrière.

Fait plus positif, Gilles Breton précise qu’Ottawa a tout de même continué à dialoguer avec Moscou en ce qui a trait aux enjeux relatifs à l’Arctique. Mais il s’agit du seul thème sur lequel les deux pays ont encore de véritables échanges.

«Puisque le Conseil de l’Arctique a été créé en 1996 à Ottawa, ce domaine est le seul qui soit immunisé contre les politiques initiées par Stephen Harper. Dans ce cas-là, les intérêts nationaux sont tellement flagrants qu’on ne pouvait pas se permettre de ne pas en parler avec la Russie», conclut-il.
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