L’heure est à l’agitation à Washington.
L’évènement du Capitole, qui a vu des dizaines de manifestants pro-Trump envahir le siège du Congrès, est encore dans tous les esprits. Dans la foulée, les Démocrates annonçaient qu’une procédure d’impeachment serait lancée à l’encontre du Président sortant, visant à le destituer avant son départ de la présidence.
Donald Trump est en effet accusé d’avoir «incité à l’insurrection» dans son discours prononcé le jour même de l’incident, à quelques pas de la Maison-Blanche. Le chef d’État américain est accusé d’avoir échauffé les manifestants, notamment par ses accusations répétées de fraude électorale massive. Considérant son discours «tout à fait convenable», le locataire de la Maison-Blanche s’est empressé de qualifier cette utilisation du 25e amendement –qui permet de confier le pouvoir au Vice-Président si le Président est déclaré inapte à exercer ses fonctions– de «totalement ridicule». Tout en prévenant de «l’immense colère» qu’elle provoquerait chez ses partisans.
Procédure d'impeachment: au Texas, Donald Trump dénonce une "chasse aux sorcières" pic.twitter.com/g9HLNFMKRs
— BFMTV (@BFMTV) January 12, 2021
Une large superposition de lignes de fractures
Selon le ministère américain de la Justice, ce sont plusieurs centaines d’inculpations, notamment pour «sédition» et «conspiration», qui pourraient viser les «émeutiers du Capitole». Autant de personnages qualifiés par la presse américaine de «the mob», entendre la «foule», voire la «populace».
Pour David Teuscher, agrégé d’histoire, cet évènement du Capitole est la dernière manifestation en date d’«un mal bien plus profond» qui «ronge une Amérique» au bord de «la fragmentation». Cet électorat trumpiste déçu, estime-t-il, face à l’échec des élections présidentielles qu’il considère comme volées, pourrait à terme se détourner de la capitale fédérale et de l’avenir du pays.
A pro-Trump mob stormed the Capitol, where police officers drew their guns and members of Congress were moved for their protection. Follow updates from the Capitol. https://t.co/EnB2J28RLU pic.twitter.com/gMra3MX6RM
— The New York Times (@nytimes) January 6, 2021
L’Amérique des grandes plaines, de l’intérieur, résumé souvent aux «petits blancs du Middle West», pourrait ainsi opter pour un combat à l’échelle des États fédérés. Avec «le risque possible, un jour, d’une entrée en sécession.»
«Évidemment, il s’agit là de géographie prospective, c’est-à-dire l’étude des avenirs possibles d’un territoire, ajoute au micro de Sputnik l’auteur de l’ouvrage Vers les États-Désunis (Éd. Perspectives Libres). Mais les lignes de fractures des États-Unis ont tendance à se recouper géographiquement et à pouvoir amener ce type de scénario. Il vient de passer de possible à probable.»
La fin de l’Amérique est un thème porteur, souvent fantasmé, et qui a déjà reçu plus d’un démenti à travers l’histoire. L’hyperpuissance américaine se tient encore en haut du classement mondial. Pour David Teuscher, cet état de fait ne dispense pas d’analyser finement la «superposition géographique» de fractures idéologiques, de divisions ethniques, d’aires culturelles rivales, ou encore de disparités économiques à l’échelle de plusieurs États limitrophes. Cette «fragmentation progressive du pays» pourrait faire surgir des associations d’États en blocs, des «méga-régions», par croisements d’intérêts culturels et économiques communs, estime l’historien.
Quel intérêt pour les États de rester unis?
Des États fédérés d’autant plus convaincus de la nécessité d’une union à plus petite échelle que leur Amérique serait intraduisible en une réalité politique au niveau fédéral. Le Texas, le Tennessee, la Géorgie, avec d’autres États limitrophes, pourraient, par exemple, trouver plus d’avantages que d’inconvénients à s’unir politiquement. «Le Texas, qui a déjà été une République indépendante et répertorie au passage le plus de milices antigouvernementales, se situe, seul, à la 15e place pour le PIB mondial», ajoute l’auteur à sa démonstration. De même, la «Californie progressiste» de la Silicon Valley et les États voisins, davantage tournés vers l’extérieur et le Pacifique, auraient «des raisons légitimes» de poursuivre «une recomposition territoriale».
Chacun des 50 États américains dispose à ce jour de ses propres institutions (gouvernement, parlement, lois…), malgré le transfert de plusieurs compétences à l’État fédéral (armée, politique étrangère, défense, budget, monnaie…). Un argument de plus, selon notre interlocuteur, pour ceux d’entre eux qui sont dans une quête d’autonomie. Un sondage Reuters de 2014 révélait qu’un quart des Américains était pour la sécession de leur État.
Patriotisme et puissance américaine, des «contre-feux aux aspirations sécessionnistes»
Si la thèse d’une possible «guerre civile» aux États-Unis ne date pas d’hier, les récentes élections américaines ont néanmoins fait craindre des débordements incontrôlables dans le pays. L’un des grands noms du New York Times, Thomas L. Friedman, faisait part au début du mois d’octobre 2020 de son inquiétude face une démocratie américaine en danger «comme jamais»: «plus en danger qu’à l’époque de la guerre de Sécession, qu’après Pearl Harbour, la crise des missiles à Cuba ou le Watergate.»
De là à craindre des poussées sécessionnistes? «Il ne faut pas négliger le patriotisme américain qui est un puissant ciment unificateur!», nuance David Teuscher. Et l’auteur de rappeler que «la fête du 4 juillet, l’hymne américain, le drapeau planté devant chez soi, l’U.S. Army… etc.» sont autant de «contre-feux aux aspirations sécessionnistes.»
Le peuple de la «Destinée manifeste», traversé par une puissante mystique nationale, celle de la «théodémocratie» pensée par Jean-François Colosimo, aurait encore du chemin à faire avant un possible éclatement.