C’est le Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNVCA) qui a révélé l’affaire. L’instance a porté plainte, ainsi que deux restaurants strasbourgeois, pour des faits survenus le 7 janvier. Un livreur Deliveroo aurait refusé de récupérer les commandes d’un restaurant servant des produits casher sous prétexte qu’il «ne sert pas les juifs». Un autre établissement casher aurait subi le même traitement. Ces actes «particulièrement graves» ont été dénoncés par maître Raphaël Nisand, avocat du BNVCA dans cette affaire. Bien que Melvina Sarfati El Grably, directrice générale de Deliveroo France, ait assuré que «les coursiers ont été identifiés», l’incident ne semble pas isolé.
Il y a un mois à peine, un déferlement d’insultes antisémites visait sur les réseaux sociaux miss Provence, dont le tort était de s’appeler April Benayoun et d’être d’origine juive. La Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) avait aussitôt porté plainte et l’Union des étudiants juifs de France (l’UEJF) dénonçait, à son tour, «un concours d'antisémitisme». Comme si l’anonymat des réseaux sociaux et les statuts d’indépendants dont bénéficient les chauffeurs VTC ou livreurs conféraient un sentiment d’impunité à une certaine mouvance en pleine expansion. Un constat que partage Francis Kalifat, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif). Selon lui, l’antisémitisme sur les réseaux sociaux profite de cet «effet entraînant que procure l’anonymat. Cela facilite la multiplication et la surenchère et bien souvent le passage à l’acte. Le tout dans un sentiment d’impunité.»
La discrimination à portée de clic
Le président du Crif s’est entretenu avec la directrice générale de Deliveroo France. Bien qu’assurant tout mettre en œuvre pour lutter contre de telles abominations, Melvina Sarfati El Grably a rappelé que les livreurs sont des indépendants «régis par des contrats de prestation de service». En d’autres termes, elle dégage la responsabilité de la direction. Un aveu d’impuissance qui dure depuis trop longtemps selon Francis Kalifat. Surtout sur Internet.
«Il est urgent de se donner des moyens rapides pour lever l’anonymat si l’on veut réellement faire reculer l’expression de la haine sur Internet. Tout comme il est urgent que l’on exige une véritable modération de la part des diffuseurs. Quant aux délinquants antisémites, il faut qu’ils soient jugés et que les peines prononcées soient suffisamment dissuasives pour éviter la récidive. La gravité de la situation n’autorise plus de simples rappels à la loi», tonne Francis Kalifat.
D’autant plus que, même s’il existe une part indéniable «de mimétisme bien connu, avec une surenchère d’insultes et de propos ignobles», cette nouvelle forme d’antisémitisme révèle un mal qui se répand.
«Il n’y a pas de cas isolé»
Pour miss Provence, par exemple, comme lors de précédentes vagues d’insultes du même type, de nombreux commentaires exprimaient une haine anti-israélienne.
La haine antisémite et antisioniste se déploie contre miss Provence. Insupportable. #MissFrance2021 #MissFrance pic.twitter.com/LYyZuEl9OE
— Aurore Bergé (@auroreberge) December 19, 2020
Et si l’identité des livreurs Deliveroo n’a pas encore été révélée, la condamnation émanait déjà lundi de plusieurs personnalités. Ainsi le député franco-israélien Meyer Habib dénonçait «la haine antisémite, sur fond d’islamisme et de racisme anti-blanc». Francis Kalifat refuse d’émettre la moindre hypothèse hasardeuse. Mais il considère qu’il s’agit là de l’expression d’une idéologie qui s’attaque à Israël.
«Dans ce domaine, il n’y a pas de cas isolés. Tous les segments de la société –économique, culturel, sportif, artistique, virtuel– sont touchés par cette banalisation de la haine des juifs et de la haine d’Israël. Dans l’affaire Deliveroo, tout comme pour miss Provence, nul besoin de démonstration. Les auteurs de ces actes antisémites revendiquent eux-mêmes l’équivalence entre la haine des juifs et la haine d’Israël. Si on veut faire reculer l’antisémitisme, il est temps de s’attaquer à l’antisionisme, qui en est le faux nez.»
«On assiste à la banalisation de la parole et de l’acte antisémite tant dans le monde réel que dans le monde virtuel. Les réseaux sociaux sont devenus des vecteurs essentiels de l’ensemble des haines et, bien sûr, de la haine antijuive qui gangrènent notre société», déplore Francis Kalifat.