Jusqu’où ira la montée de la délinquance sur le territoire français? Publiée le 16 décembre dernier, une enquête réalisée par l’Institut Paris Région, un organisme rattaché à la région Île-de-France, révèle une inflation constante des actes de délinquance dans la région entre 2017 et 2019. Menée sur «10.500 Franciliennes et Franciliens âgés de 15 ans et plus, représentatifs de la population régionale par département», l’étude illustre la gravité de la situation.
Un Francilien sur cinq dit avoir être victime d’agression ou de vol
Les chiffres fournis par le document de près de 70 pages sont sans appel: parmi les personnes sondées, plus d’un Francilien sur cinq (22%) déclare ainsi avoir été personnellement victime d’agression ou de vol, contre 17,4 % en 2017. Plus inquiétant: «Il s’agit du taux le plus élevé depuis le début de la mesure de cet indicateur en 2001.»
Une nouvelle illustration de l’«ensauvagement d’une partie de la société», dénoncé par Gérald Darmanin l’été dernier? S’il admet la pertinence du terme, Laurent Lemasson, responsable des publications de l’Institut pour la justice, veut aller plus loin que les seules statistiques:
«”L’ensauvagement” ne traduit pas seulement l’augmentation statistique du nombre d’actes de délinquance, il reflète aussi un phénomène d’ordre moral: la dépravation morale des délinquants, c’est-à-dire le fait qu’ils soient de plus en plus violents et “audacieux” dans leurs agissements», analyse-t-il au micro de Sputnik.
Le phénomène le plus inquiétant serait ainsi la montée en puissance de la «violence gratuite, avec des coups et blessures sans motif crapuleux apparent». Une inflation là encore difficile à mesurer statistiquement. «C’est par exemple l’automobiliste qui va se faire tabasser parce qu’il a fait un appel de phares, ou le père de famille qui se fera rouer de coups s’il a demandé à une bande de jeunes de faire moins de bruit dans la rue», énumère Laurent Lemasson.
Triplement du nombre d’atteintes sexuelles
Un chiffre en particulier cristallise ce «sentiment d’insécurité»: selon 40,9% des usagers, les transports en commun sont décrits comme «anxiogènes». Ce sentiment de peur croît partout depuis 2017, aussi bien dans le bus, le tramway (+2,3 points), le train (+1,9), le métro (+2), que le RER (+1,4). Et la réalité pourrait être pire, selon Laurent Lemasson:
«Les statistiques ne permettent d’appréhender qu’une partie de la réalité de l’insécurité. Le “sentiment d’insécurité” n’est pas une plainte qui se fonde sur la lecture des statistiques. Elle se fonde sur l’expérience quotidienne, et les chiffres n’en reflètent qu’une partie.»
Si l’approche statistique montre ses limites, certains chiffres demeurent particulièrement évocateurs et préoccupants. Ainsi en est-il de l’augmentation du nombre d’atteintes sexuelles dans la région, lesquelles ont plus que triplé en vingt ans, passant d’un taux de déclaration de 0,7% à 2,4%.
Dans les quartiers, «la loi commune ne s’applique plus»
Le dernier point important concerne l’insécurité vécue dans les banlieues franciliennes. D’après l’étude de «victimation», ce sont sans surprise la drogue et le vandalisme qui gâchent la vie de plus de 40% des déclarants en Seine-Saint-Denis, soit 10 points au-dessus des autres départements franciliens.
L’écart est quasiment identique concernant les bandes: 38,9% souffrent de leurs agissements dans le 93, contre 28,3% à Paris. Les habitants des banlieues sont-ils ainsi les premières victimes de la montée de la délinquance? Pour Laurent Lemasson, cela ne fait aucun doute.
«C’est une vérité criminologique bien connue: les premières victimes des délinquants sont très largement des gens sociologiquement proches des délinquants eux-mêmes. Ces derniers ne vont pas chercher très loin leurs victimes. La concentration de délinquance dans les quartiers dits “sensibles” a pour conséquence que la loi commune ne s'y applique plus au quotidien: la police et la justice y interviennent de manière notablement différente par rapport au reste du territoire.»
Preuve à l’appui, c’est aussi dans le 93 que plus d’un habitant sur deux trouve la «police insuffisante, voire insignifiante», quand les taux s’élèvent à 42% et 41,2% dans le Val-d’Oise et la Seine-et-Marne.