Un site de liquéfaction de gaz dont l’entreprise française Total est actionnaire principal à hauteur de 40% est utilisé par un pays étranger au Yémen, affirment 51 députés français dans une lettre ouverte à Jean-Yves Le Drian. Il s’agit du site dont l’État français a accompagné la construction avec une garantie de crédit de 216 millions d’euros. Les parlementaires affirment que le lieu abrite une base militaire ainsi qu’une prison secrète attribuées aux Émirats arabes unis (EAU).
🔴Nous ne pouvons accepter qu'un site de #Total soit utilisé par l'armée des #Émirats arabes unis comme prison secrète au cœur du drame qui se joue au #Yémen!
— Hubert J-LAFERRIERE (@hub_laferriere) December 11, 2020
Suite aux révélations de @louis_imbert du @lemondefr, mon courrier au ministre @JY_LeDrian signé par 50 parlementaires⤵️ pic.twitter.com/Z3lTRtqbY9
L’activité de l’usine a été gelée au début de la guerre, en 2015. L’installation représentait auparavant jusqu’à 45% des recettes fiscales du Yémen et rapportait aussi d’importantes recettes à Total.
Les Affaires étrangères sommées de réagir
L’un des députés signataires de cette lettre, François-Michel Lambert, coprésident du parti Liberté Écologie Fraternité (LEF), ne cache pas sa préoccupation dans un commentaire à Sputnik:
«Il est clair qu’on ne peut pas fermer les yeux sur les responsabilités françaises dans ce dossier. La France a des relations avec cette partie du monde dans un jeu de rôle où les choses ne sont pas forcément les plus claires.»
Au-delà même des considérations humanitaires qui, selon lui, devraient déjà interpeller dans cette affaire, il y a surtout une question de gestion d’argent public qu’il est indispensable de clarifier.
«Dans notre rôle de parlementaire, nous sommes là pour contrôler l’action du gouvernement et la gestion des fonds publics. Dans cette affaire, il y a 216 millions d’euros d’argent public qui ont été mobilisés pour accompagner le projet», explique François-Michel Lambert.
«Je ne pense pas que les Français soient heureux que plus d’un cinquième de milliard d’argent public soit utilisé pour faire une prison occupée par des forces étrangères au pays où se situe le site [de Total, ndlr] et où l’on croit savoir qu’il y a de la torture», estime-t-il.
«Dans ce cas précis, l’argent du contribuable ne sert pas pour la France: il ne sert pas indirectement les intérêts de la France à travers la performance économique de Total. Il ne sert pas non plus dans une démarche de codéveloppement comme on en fait dans d’autres pays.»
Le signataire du courrier estime que la France aurait pu faire un meilleur usage de ces 216 millions d’euros au lieu de les laisser servir les intérêts d’une puissance étrangère.
«C’est un trentième du budget du plan Hôpital. C’est de l’argent qu’on n’a pas mis dans les hôpitaux et qu’on l’on engloutit dans un projet qui n’est plus le projet originel et qui devient une prison. Dénoncer cela, c’est notre rôle de parlementaire», s’insurge l’élu.
François-Michel Lambert espère donc que la France tiendra son rang tant sur la question de la rentabilité de l’argent injecté, que sur l’aspect humanitaire qui inquiète aussi les signataires de cette lettre ouverte.
«Nous souhaitons que la diplomatie française fasse pression sur les Émirats arabes unis pour que soit rétablit l’état de droit. Le site est sur le territoire du Yémen, il est la propriété de Total, qui est l’actionnaire principal à hauteur de 40%, et il est occupé par une force étrangère, que la France aide par ailleurs. Il est probablement occupé avec l’aide directe ou indirecte de moyens militaires français. On est dans une situation particulièrement paradoxale et je dirais, s’il n’y avait pas de drames humains, qu’elle est ubuesque», insiste notre interlocuteur.
La France pieds et poings liées devant les pétrodollars émiratis?
Ces demandes de parlementaires issus de l’opposition, mais venus d’horizons politiques variés, mettent pourtant l’exécutif dans une position gênante. La France cultive de bonnes relations diplomatiques avec les Émirats arabes unis, qui sont l’un des principaux clients du savoir-faire militaire français.
Le petit pays du Golfe persique était l’un des cinq principaux clients de la France en matière d’armes en 2019. Cette relation économique ne devrait pas infléchir la position de Paris dans cette affaire, estime François-Michel Lambert.
«Je pense que la fermeté peut, un temps, amener notre partenaire à être vexé et à regarder ailleurs pour acheter des armes. Mais la fermeté, c’est aussi être respecté. En n’étant pas ferme, la France donne l’idée que l’on peut lui marcher dessus et, à long terme, ça la desservira», conclut le député.