Nucléaire: l’échec allemand a-t-il enterré les illusions du Président de la République?

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En visite à l’usine Framatome du Creusot, Emmanuel Macron a déclaré sa flamme ce mardi au nucléaire français. Calquée sur le modèle allemand, la décision de réduire la part de l’atome dans la production électrique pour 2035 est néanmoins toujours prévue par la loi Énergie et Climat. Le Président a-t-il renoncé à regarder vers l’Allemagne?

Emmanuel Macron n’est pas prêt d’atomiser son fameux «en même temps». «Notre avenir énergétique et écologique passe par le nucléaire», déclarait le 8 décembre le Président de la République devant les salariés de l’usine Framatome du Creusot (Saône-et-Loire), qui assure la production de composants des centrales nucléaires françaises. Ainsi confirmait-il ses propos tenus quelques jours auparavant. Devant les caméras de Brut, le chef de l’État avait déjà assumé «à fond» sa défense du nucléaire. Le Président persiste et signe donc, dans ce qui sonnait la veille comme une déclaration d’amour à une énergie pourtant honnie par les écologistes militants et largement critiquée par certains membres de son gouvernement.

Nucléaire: contradictions au sein du gouvernement

Au sein de l’exécutif, Emmanuelle Wargon déclarait en effet en janvier dernier: «72% de nucléaire dans l’électricité, c’est trop». La ministre déléguée auprès de la ministre de la Transition écologique avait rappelé l’objectif en vigueur, prescrit par la loi Énergie et Climat du 8 novembre 2019, d’une réduction pour le pays à 50% de la part du nucléaire dans l’électricité pour 2035, et la fermeture de 14 des 56 réacteurs nucléaires à ce même horizon.

«Je n’ai jamais été partisan du tout-nucléaire, mais l’atome doit être un pilier de notre mix énergétique pour les années à venir. Il faut aussi continuer de développer les énergies renouvelables, car la France n’est au rendez-vous ni de ses engagements ni de ses ambitions», a déclaré Emmanuel Macron en ouverture de son discours au Creusot.

Faut-il y voir une conciliation acrobatique entre la promesse d’un futur écologique débarrassé d’une partie des 56 centrales du parc nucléaire français et l’impossibilité pour l’État de se passer de la première source de production d’électricité du pays? «Poser la question, c’est déjà y répondre», s’amuse l’économiste Philippe Murer, auteur de l’essai Comment réaliser la Transition écologique: Un défi passionnant (Éd. Jean-Cyrille Godefroy).

«Chercher à obtenir une énergie sans CO2 tout en faisant baisser la part du nucléaire qui n’en émet pas est totalement contradictoire. C’est même une stratégie anti-climat! Et elle nous vient tout droit d’Allemagne», tacle Philippe Murer au micro de Sputnik.

Notre voisin d’outre-Rhin s’est imposé dans le monde des énergies vertes à travers sa transition énergétique. L’«Energiewende» est devenue une fierté germanique. Depuis plus de 20 ans, les pistes cyclables s’allongent, les grandes villes s’habillent de vert et le tri sélectif fait des émules.

Les lourdes impasses du modèle allemand

Mais ce sont surtout, depuis 1995, des centaines de milliards qui ont été investis dans les énergies renouvelables, en priorité les éoliennes, panneaux solaires et méthaniseurs. Le pays a pour objectif d’atteindre une part de 65% de la production électrique par ces énergies «propres» d’ici 2030 contre 43% aujourd’hui, avec l’éolien et le solaire en tête. À la suite de l’accident nucléaire de Fukushima en 2011, Angela Merkel annonçait le renforcement des contrôles de sécurité des centrales allemandes, puis leur fermeture définitive pour 2022.

De quoi faire pâlir d’envie certains écologistes français. Pourtant, la réalité du modèle allemand serait tout autre, selon Philippe Murer:

«Notre voisin allemand émet sept fois plus de CO2 pour produire de l’électricité que la France! La raison est très simple: enlever du nucléaire, qui est une énergie stable, contraint à le remplacer par des éoliennes et des panneaux solaires qui vont produire seulement la moitié du temps, quand le reste du temps il faudra compenser avec du charbon ou du gaz émettant énormément de CO2.»

Malgré la décision prise en 2019 par l’Allemagne de mettre un terme à la production d’électricité au charbon pour 2038, le pays peine à se passer de ses mines et à réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Un échec illustré par l’annonce, en mai dernier, de l’ouverture en Rhénanie-du-Nord–Westphalie de Datteln 4, une nouvelle centrale à charbon, un projet qui remonte à 2007, mais néanmoins toujours maintenu. Or, la combustion du charbon reste de nos jours plus polluante que celle des hydrocarbures.

Revenir au nucléaire et se débarrasser du renouvelable?

En France, la même logique risque de s’imposer. Au mois d’octobre dernier, LCI révélait que plusieurs centrales à charbon avaient été rallumées en France en raison de la maintenance de 22 réacteurs nucléaires. Emmanuel Macron n’a pas dit autre chose mardi 8, lorsqu’il a déclaré que «renoncer au nucléaire, totalement ou trop rapidement, ce serait ouvrir comme d’autres pays l’ont fait des centrales à charbon ou à gaz ou importer de l’énergie carbonée. Et cela, nous nous y sommes refusés». Le Président de la République a également précisé son intention de résoudre les deux problèmes que l’on oppose régulièrement à l’énergie nucléaire, à savoir le traitement des déchets et les risques d’incidents. «Pourvu qu’on progresse sur les déchets et la sûreté, le nucléaire est une énergie décarbonée, une énergie sûre», a-t-il précisé.

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Pour Philippe Murer, ces questions ne seront pas résolues par une réduction de la part du nucléaire, mais davantage par une réflexion de fond sur le renouvellement en profondeur des centrales nucléaires françaises. «L’enjeu est de réconcilier tous les Français avec le nucléaire, écolos ou pas!» plaide-t-il avant de préciser:

«Je rappelle que les déchets radioactifs les plus dangereux représentent en taille un cube de un mètre par un mètre… En revanche, il est vrai que nos centrales classiques ont un petit risque de fusion du cœur qui pose des problèmes de pollution, comme l’a illustré l’évènement du tsunami de Fukushima. Il y a toute une filière à développer désormais autour du thorium, bien plus sûr que l’uranium, avec un risque zéro de fusion et une production minime de déchets dangereux.»

C’est par cette nouvelle génération de réacteurs que l’économiste voit l’avenir de la transition énergétique en France. Une transition qui exigera de surcroît selon lui un recours plus poussé à l’hydrogène, en accompagnement des éoliennes et des panneaux solaires, puisque la pile à combustible à hydrogène permet, par le stockage de l’énergie, de pallier les impasses de l’intermittence du vent et du soleil.

Une transition «la plus rationnelle possible», veut donc croire Philippe Murer.

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