«Je crains que la lutte contre le séparatisme islamiste se focalise sur les symptômes visibles sans aller aux racines du mal. On n’éradiquera pas l’islamisme si on ne casse pas les ghettos urbains, son terreau. Ils favorisent l’entre-soi, le repli communautaire et l’endoctrinement.»
Interrogée par Le Journal du dimanche sur le projet de loi contre le séparatisme, rebaptisé «loi confortant les principes républicains» et qui doit être présenté ce mercredi 9 décembre en Conseil des ministres, Valérie Pécresse a confié son scepticisme quant à l’efficacité des mesures proposées par l’exécutif.
En cause donc, la politique de la ville et la question du logement social, qui renforceraient la «partition» du territoire dont parlait déjà François Hollande dans son livre-entretien Un président ne devrait pas dire ça (Stock, 2016).
L’échec du «plan Borloo»
Dernière tentative en date, le «plan Borloo», présenté en avril 2018 et qui proposait une série de mesures afin de «relancer la rénovation urbaine» pour les quartiers prioritaires, a été enterré par Emmanuel Macron. «L’enjeu n'est pas de réinventer de grands dispositifs qui viennent d'en haut», justifiait alors son entourage.
«Emmanuel Macron a bien fait de ne pas recevoir le plan Borloo car celui-ci n’amenait rien de plus que ce qui avait été amené précédemment», approuve l’ancien préfet Michel Aubouin. «La politique de la ville a globalement échoué car elle apporte des réponses à des questions qui ne sont pas posées correctement».
Michel Aubouin, également auteur de l’essai 40 ans dans les cités (Presses de la Cité, 2019), plaide ainsi pour «redonner aux maires et aux élus locaux le pouvoir de loger les personnes qui sont en demande afin d’éviter que ce soit les contingents préfectoraux ou les commissions anonymes qui s’en chargent».
«Les quartiers de reconquête républicaine ne servent à rien»
Les «ghettos urbains» dont parle la présidente de la région Île-de-France sont-ils pour autant un «terreau» pour l’islamisme? «L’islamisme n’est pas présent dans tous ces quartiers. Certains sont épargnés et d’autres, qui n’ont rien à voir avec ces “quartiers”, sont particulièrement touchés», rétorque Michel Aubouin.
«Les quartiers dits “de reconquête républicaine” ne servent à rien et créent une vraie discrimination: certains bénéficient de centaine de millions de subvention chaque année pour leur rénovation quand d’autres, bien plus sinistrés, ne touchent absolument rien», fustige Michel Aubouin.
Si le rapport de causalité entre petite délinquance et passage à l’acte ne peut être nié, les dernières attaques ayant montré que leurs responsables étaient souvent connus pour des infractions de droit commun, notre interlocuteur nuance: «Il est vrai que le passage à l’acte, encouragé par le djihad armé, s’apprend beaucoup dans la petite délinquance car elle suppose un apprentissage progressif de la violence. Pour autant, tous les délinquants ne deviennent pas des islamistes».
«Une vision socialiste qui n’existe qu’en France»
Le problème de fond soulevé par Valérie Pécresse concernait surtout le manque de «mixité sociale» dans les quartiers. Si Michel Aubouin donne raison à l’ancienne députée LR sur ce point, il rappelle que cette politique peut être à double tranchant si elle devient trop contraignante:
«La loi qui oblige à mettre des logements sociaux dans toutes les communes à raison de 25% de logements sociaux obligatoires, contribue à créer des mini-cités dans des villes qui n’en connaissaient pas jusqu’à présent. On retrouve alors les mêmes problèmes de délinquance que dans les cités d’origine», souligne l’ancien préfet.
Plus largement, c’est toute la politique urbaine centrée sur le logement social pour le plus grand nombre, que dénonce le haut fonctionnaire, qui a été de 2009 à 2013 directeur du ministère de l'Intérieur en charge de l'intégration des étrangers et des naturalisations.
«Il faut arrêter d’imaginer qu’on doit loger tout le monde dans des logements sociaux, c’est une vision complètement socialiste qui n’existe qu’en France! L’idée qu’on puisse être logé à vie, voire même sur plusieurs générations, est tout de même étonnante. Cela favorise l’idée d’appropriation du quartier alors que ces logements sont des loyers publics financés par l’État», cingle Michel Aubouin.