«Cette élection, ce sont trois coups d’épée dans l’eau», résume pour Sputnik Jean-Jacques Kourliandsky, qui a publié en 2014 pour la Fondation Jean-Jaurès «Amérique latine, insubordinations émergentes».
Le scrutin législatif du 6 décembre au Venezuela a vu la victoire du Grand Pôle patriotique, la coalition qui soutient le Président en exercice, avec 67,7% des suffrages. C’est pourtant un camouflet pour Nicolas Maduro, en raison d’un fort taux d’abstention, qui s’élève à 69%. C’est également un échec pour l’opposition, avec la «démonstration de son incapacité à paraître comme une alternative crédible». Le troisième coup d’épée dans l’eau serait celui de «ce qu’on appelle la communauté internationale», estime Kourliandsky, chercheur à l’IRIS et à la Fondation Jean-Jaurès, responsable du chapitre consacré annuellement à l’Amérique latine dans L’Année stratégique (Éd. Armand Colin/IRIS). Il cible sur ce dernier point les États-Unis et les pays européens, qui ont mis en place des sanctions qui consistent «à mettre la tête sous l’eau de la population vénézuélienne.»
Les réels soucis des Vénézuéliens «très terre-à-terre et alimentaires»
Une enquête de l’institut Datanálisis révélait en septembre que 62,2% des Vénézuéliens ne soutenaient ni le gouvernement de Nicolas Maduro ni l’opposition dirigée par Juan Guaido. Un sondage qui dévoile, aux yeux de Jean-Jacques Kourliandsky, les réels soucis des Vénézuéliens. Des soucis «très terre-à-terre et alimentaires», qui ne sont pas des préoccupations «de politique et de jeu entre les partis». Rappelons que le Venezuela est confronté à une grave crise économique, provoquée notamment par de fortes sanctions américaines, dont un embargo sur le pétrole. L’inflation y est galopante (+ 4.000% en un an), les pénuries d’essence, d’électricité et d’eau se font de plus en plus fréquentes.
«Cinq millions de Vénézuéliens ont quitté le pays, non pas pour des raisons politiques, mais pour des raisons alimentaires. Évidemment, ceux qui sont restés au pays sont assez peu mobilisés, le sondage le démontre.»
Le début de la fin pour Guaido?
Si l’appel à «rester à la maison» de l’opposition réunie autour du Président autoproclamé a été un facteur de cette forte abstention, il n’en reste pas moins que la victoire écrasante du Grand Pôle patriotique renforce indéniablement le pouvoir de Nicolas Maduro. Étant aux mains de l’opposition depuis 2015, le Parlement était la seule institution qui lui échappait. Plombée par la stratégie de boycott, l’opposition modérée qui a participé au scrutin n’a obtenu que 18% des voix.
C’était paradoxalement la seule source de légitimité de Juan Guaido, alors président de l’Assemblée nationale. En perte de crédibilité dans le pays, celui-ci aurait pu conforter sa légitimité «s’il avait participé aux élections et s’il avait fait un résultat honorable», estime Jean-Jacques Kourliandsky. Or dans les faits, Guaido «n’a jamais été Président de rien du tout, le territoire est contrôlé par le gouvernement Maduro.»
Contesté au sein de l’opposition par le revenant Henrique Capriles, il est également contesté par ses soutiens internationaux. Et Kourliandsky de mentionner le livre de John Bolton, La pièce où ça s’est passé (Éd. Talents), où l’ancien conseiller à la sécurité nationale relate que le Président Trump, soutenant haut et fort le Président vénézuélien autoproclamé, qualifie toutefois Guaido de «faible» et de «gamin» confronté à un Nicolas Maduro «très intelligent» et «fort».
«Il a même essayé de renverser par la force le gouvernement Maduro, donc en essayant des moyens assez peu démocratiques. Donc, on va probablement s’orienter progressivement vers une sortie de la scène politique vénézuélienne, ou du moins un retrait de la part de Juan Guaido.»
«Finalement, la clé de tout cela se trouve aux États-Unis, qui ont mobilisé beaucoup de pays latino-américains contre le Président Maduro pour essayer de forcer un changement et non pas de négocier une sortie de crise.»
Cette dernière devra passer par l’abandon de «la solution de force», le changement de régime, pour parvenir à la construction d’un compromis. Tout dépendra du nouveau Président américain et de la ligne qu’il choisira: «Il est probable qu’il va essayer, tout en maintenant la pression sur le gouvernement Maduro, d’ouvrir une porte ou une fenêtre, avec notamment le soutien de l’Union européenne», afin de revenir sur les sanctions «qui pèsent lourd sur la population».
Mais il faudra d’abord convaincre Bruxelles de cette nouvelle orientation, puisque Josep Borrell, son chef de la diplomatie, a déclaré que «le manque de respect du pluralisme politique, la disqualification et la poursuite des dirigeants de l’opposition ne permettent pas à l’UE de reconnaître ce processus électoral comme crédible, inclusif ou transparent, et ses résultats comme représentatifs de la volonté du peuple vénézuélien.»
Pas évident donc que l’UE accepte de changer son fusil d’épaule et de jouer les bons offices, quand on connaît la pesanteur de ses orientations en termes de politique étrangère.