Dans un Moyen-Orient où la moindre allumette peut mettre le feu aux poudres, qu’entraînera la disparition de Mohsen Fakhrizadeh, homme clé du nucléaire iranien? Bien sûr, la mort de ce physicien, liquidé dans la rue à l’aide d’une «mitrailleuse automatique télécommandée», montée sur un pick-up Nissan vendredi 27 novembre, ravive les tensions entre l’Iran et son rival régional israélien. Mais peut-être est-ce plus loin, à Washington, que ce meurtre aura les plus lourdes conséquences.
Très peu médiatisé, donc inconnu du grand public, Moshen Fakhizadeh a accédé à la notoriété de manière posthume, jusqu’à être pleuré par les partisans du pouvoir iranien comme un «martyr»lors de son inhumation ce lundi 30 novembre.
Il avait un savoir engrangé qui fait que son élimination est un coup important porté au secteur nucléaire. S’il est remplaçable physiquement, l’expérience qu’il accumulait fait que sa disparition cause une perte grave et sérieuse à ce pôle scientifique, mi-civil, mi-militaire.»
Un personnage jusque-là protégé. Téhéran ne voulait pas l’exposer et avait même gardé secret la rencontre du physicien avec le Guide Suprême Ali Khamenei en 2019, dans le but de le protéger des ennemis des autorités iraniennes. Ces dernières ont depuis accusé les services israéliens du Mossad d’être derrière ce meurtre.
La faiblesse des service de sécurité iranien
Et en effet, «il était dans le collimateur des israéliens», et depuis un certain déjà, comme le rappelle Michel Makinsky. Benjamin Netanyahou l’avait désigné comme le responsable du programme nucléaire en Iran, lors d’une conférence le 30 avril 2018. Tout porte donc à croire qu’il étaient bien sur la liste des personnes à éliminer et que Téhéran n’est pas parvenu à assurer sa sécurité. Une lacune fissurant désormais crédibilité de sa puissance :
«Cette mort met en lumière d’extraordinaires faiblesses dans l’appareil sécuritaire iranien. Il y a deux appareils concurrents, qui sont le Ministère des Renseignements et les services de renseignements des Gardiens de la Révolution. On est un peu surpris de voir qu’un personnage, qui avait été désigné quelques temps avant comme une cible prioritaire à abattre, se soit fait descendre.»
Pour Michel Makinsky, ce crime révèle les déficiences des services de sécurité iraniens qui n’ont pu empêcher l’application de ce qu’il appelle un «programme d’élimination». Moshen Fakhrizadeh n’est en effet pas «le premier échec de ces services». Ainsi le spécialiste de l’Iran rappelle-t-il que des attentats ont eu lieu les années précédentes, notamment à Téhéran: déjà entre 2010 et 2012, avant les négociations officielles entre l’Iran et les puissances du Conseil de Sécurité de l’Onu, quatre scientifiques avaient été éliminés.
Malgré ces meurtres, les négociations avaient perduré et s’étaient concrétisées par l’accord sur le nucléaire de 2015. Une réussite politique à l’époque pour le président Barack Obama et pour son vice-président Joe Biden, ainsi que pour le président iranien Hassan Rohani, mais aussi pour le scientifique Moshen Fakhrizadeh qui comptait parmi l’équipe iranienne au cours de ces négociations.
Cinq ans plus tard, sa disparition risque fort de gripper le rapprochement envisagé par Joe Biden avec l’Iran. Le démocrate a en effet largement critiqué la politique agressive de l’administration Trump face à l’Iran, prônant une relation plus apaisée par le retour des États-Unis dans l’accord de Vienne de 2015 et dans la reprise de négociations.
«L’impact de cette mort n’est qu’indirecte pour Rohani. (…) L’impact était bien entendu de susciter un regain de tension entre l’Iran et les États-Unis précisément à quelques semaines de l’entrée en fonction de Biden. (…) Cela va embarrasser Biden en lui créant une arrivée inconfortable.»
Pour l’heure, l’équipe de Joe Biden n’a pas officiellement réagi à ce qui s’apparente comme une épine dans le pied de sa politique. Mais peut-être faudra-t-il scruter la première interview depuis les élections de Biden et de sa vice-présidente Harris, ce jeudi 3 décembre.