Agriculteur en colère: marre des «écolo-bobos donneurs de leçons»

© AFP 2024 BERTRAND GUAYUne activiste vegan en démonstration à Paris
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Olivier Damaisin, député LREM du Lot-et-Garonne a déposé des propositions visant à lutter contre le suicide des agriculteurs. Elles comportent du bon et du moins bon, explique Tristan Arlaud, délégué de la Coordination rurale dans les Bouches-du-Rhône, à Sputnik. Il dénonce également l’«agribashing» provenant d’une partie de la société.

Terminé la «mise sous cloche» du problème du suicide des agriculteurs? Le terme a été employé par Olivier Damaisin lui-même. Le député (LREM) du Lot-et-Garonne vient de remettre à l’exécutif ses recommandations pour lutter ce phénomène qui gangrène la profession.

​Ce sont 29 propositions qui ont été remises au Premier ministre, Jean Castex, à l’issue d’une mission de plusieurs mois. Dans le lot, on trouve la volonté de diffuser plus largement «une information générale et non stigmatisante sur le mal-être pour qu’il ne soit pas un sujet tabou.» Le député souhaite également que les plateformes d’écoute, telle qu’Agri'écoute, financée par la Sécurité sociale agricole (MSA) et accessible 24h/24 au 09.69.39.29.19, soient mieux connues.

Tristan Arlaud, délégué de la Coordination rurale dans les Bouches-du-Rhône, explique au micro de Sputnik que la gravité du problème nécessite une prise en charge en amont: «Il faut un modèle d’accompagnement prédictif concernant les suicides. Il est trop tard pour agir une fois que les problèmes sont trop gros pour les résoudre.»

«Quand vous êtes au fond du trou, épuisé, que vous ne gagnez pas votre vie, le tout sans perspective de reprise pour votre entreprise, le moindre coup dur supplémentaire comme un contrôle, des pénalités ou des primes qui n’arrivent pas peut vous pousser au pire», ajoute-t-il.

Olivier Damaisin suggère de procéder au recrutement de nouvelles «sentinelles» parmi les personnes qui gravitent autour des agriculteurs. L’objectif de ces salariés de coopératives, conseillers de chambre d’agriculture, techniciens de contrôle laitier, vétérinaires, mais aussi facteurs, élus locaux, médecins ou pharmaciens est de repérer les agriculteurs à risque afin de les diriger vers les dispositifs d’accompagnement existants.

La Coordination rurale a pris les devants avec une initiative qu’explique Tristan Arlaud:

«Notre syndicat s’est doté un petit logiciel appelé Allo Agri. Il permet à nos animateurs de faire une veille d’information proactive. Grâce à cela, nous pouvons cartographier les problèmes tels que le surendettement ou des soucis avec l’administration ou le voisinage et ainsi agir en amont sur les cas les plus problématiques. Nous pouvons ainsi tenter d’éviter l’irréparable.»

Olivier Damaisin a proposé de son côté de mettre en place un observatoire national des exploitations en difficulté, sous l’égide du ministère de l’Agriculture. Il juge que les cellules d’accompagnement des agriculteurs montées par l’État dans la plupart des départements pourraient contribuer «à la nécessaire coordination des acteurs de la prévention.»

Plus d’un suicide par jour

De plus, le parlementaire de la majorité veut «améliorer» leur fonctionnement en plus de réviser leur composition. Le but? Que ces cellules regroupant des acteurs institutionnels incluent par exemple des vétérinaires libéraux, «qui sont parmi les acteurs les mieux placés pour observer l’état des troupeaux sur les exploitations, indicateur d’un possible mal-être des éleveurs.» Olivier Damaisin juge par ailleurs qu’il faudrait mieux encadrer «à quel moment et selon quelles règles» les banques «peuvent intervenir».

«La prévention du mal-être doit commencer très tôt, avec une sensibilisation dès la formation initiale», souligne notamment le député, qui pense «utile de développer un dispositif de tutorat par un agriculteur expérimenté, volontaire et sans intérêt personnel.»

Action de l'European Milk Board lors d'une réunion des ministres de l'agriculture de l'UE, le 23 janvier 2017 - Sputnik Afrique
«Heureusement que les agriculteurs sont là pour mettre à manger sur la table durant cette crise»

Afin que la population appréhende mieux la gravité du phénomène des suicides chez les agriculteurs, le député souhaite une publication annuelle du taux de mortalité par suicide, ainsi qu’une «analyse fine de la typologie des agriculteurs concernés et des causes.» D’après lui, il n’est «pas normal» que les chiffres les plus récents datent de 2015. Cette année-là, la MSA, la sécurité sociale agricole, a dénombré 372 suicides d’exploitants agricoles, plus d’un par jour.

Lutter contre l’«agribashing»

Pour l’année dernière, Tristan Arlaud avance le chiffre de plus 400 suicides d’agriculteurs. «Comparée à la population générale, on constate une surmortalité par suicide pour les exploitations agricoles, surmortalité particulièrement marquée chez les éleveurs bovins –lait et viande– âgés de 45 à 54 ans», expliquait, en juin, une étude de l’observatoire national du suicide.

«Les éleveurs bovins sont très touchés, car les investissements sont énormes. Il faut de gros hangars, cela coûte très cher. Quand vous vous effondrez, vous perdez tout sans possibilité de rebondir», explique Tristan Arlaud.

Concernant l’impact du Covid-19 sur la filière agricole, il n’a pas été le même pour tous, d’après l’analyse de Tristan Arlaud:

«Ceux qui sont en vente directe ont vécu une embellie. Beaucoup de gens se sont détournés des grandes surfaces pour se rendre à la ferme et cela a permis à des agriculteurs de tirer leur épingle du jeu et d’augmenter leur chiffre d’affaires.»

Un sort que n’ont pas partagé ceux qui sont en «circuit long», explique l’agriculteur:

«Ils se sont retrouvés bloqués par la crise. La grande distribution a joué le jeu un mois avant de tordre le bras à tout le monde, comme d’habitude.»

En dehors de difficultés économiques, les agriculteurs font également face à un «agribashing» de la part d’une partie de la société selon Tristan Arlaud. Le terme a été repris par Olivier Damaisin, pour qui «la revalorisation de l’agriculture et de son rôle social sont nécessaires.» D’après le parlementaire, la contestation de l’utilisation de pesticides ou des systèmes d’élevage intensif renvoie aux agriculteurs «une image dévalorisante de leur métier.»

Les autorités «à côté de la plaque»

«Le terme d’agribashing définit vraiment ce qu’on vit. Globalement, l’agriculteur a toujours tort. Il n’a pas le droit de se plaindre», lance Tristan Arlaud. Il assure que ceux qui partagent sa profession sont tellement peu nombreux en France qu’il y a peu de chances qu’un citadin ait un agriculteur dans son cercle de connaissances.

«Beaucoup de citoyens ne sont pas au courant de nos difficultés et cette méconnaissance du terrain et du métier ouvre la voie à tout un mouvement anti-agricole. Cela se manifeste à travers les mouvements pro-loups ou les actions des écolos-bobos qui regardent des émissions animalières, mais consomment n’importe comment et vont sur Amazon», explique-t-il.

D’après lui, ces critiques «sont insupportables». «Ce sont des donneurs de leçons qui, à titre personnel, ne sont absolument pas irréprochables», tempête Tristan Arlaud.

L’agriculteur qui assure devoir «respecter toutes les normes, les désirs des consommateurs plus ceux des citoyens», affirme que beaucoup de ces derniers «confondent l’écologie et l’agriculture biologique.» Pourtant, celui qui fait de l’agriculture bio «consomme presque autant de fioul qu’un agriculteur en conventionnel.»

​Olivier Damaisin propose également de «renforcer et vulgariser» des dispositifs de portage foncier. Ces derniers permettent notamment à un agriculteur la poursuite de son activité sur des terres qu’il a vendues, voire de les racheter plus tard. Le parlementaire LREM souhaite aussi poursuivre l’«aide au répit» mise en place par la MSA et qui finance le remplacement jusqu’à 10 jours des adhérents en situation d’épuisement professionnel, leur permettant ainsi de se reposer.

Si certains points vont dans le bon sens pour les agriculteurs, Tristan Arlaud trouve tout cela insuffisant. Il juge sévèrement l’action des autorités concernant sa profession:

«Ils sont à côté de la plaque. C’est comme si quelqu’un voulait vous faire plaisir, mais au lieu de le faire, il vous enfonce. Ils ne nous écoutent pas.»
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