Les juges d’instruction avaient convoqué jeudi l’ancienne garde des Sceaux en vue d’une mise en examen pour «corruption passive» et «trafic d’influence passif de personne chargée d’un mandat électif public dans une organisation internationale» ainsi que pour «recel d’abus de pouvoir», selon le parquet national financier (PNF).
Dans la nuit de jeudi à vendredi, au terme d’un interrogatoire de seize heures, la maire LR du VIIe arrondissement de Paris a finalement été placée sous le statut de témoin assisté, intermédiaire entre ceux de simple témoin et de mis en examen.
«Rachida Dati a été placée sous le statut de témoin assisté car elle a démontré auprès des juges d’instruction qu’elle avait travaillé comme avocate entre 2009 et 2012 pour l’alliance Renault-Nissan», a expliqué à l’AFP Me Olivier Pardo, qui la défend avec Mes Olivier Baratelli et Francis Teitgen.
«C’est un premier pas», a de son côté déclaré Me Jean-Paul Baduel, avocat d’une actionnaire de Renault, Danièle Coutaz-Repland, qui avait porté plainte le 17 avril 2019 et poussé le PNF à ouvrir une enquête.
Celle-ci portait sur des contrats noués par RNBV, la filiale néerlandaise de l’alliance Renault-Nissan, lorsque Carlos Ghosn était encore PDG du groupe automobile.
Cette plainte visait Rachida Dati, mais aussi le criminologue Alain Bauer, Carlos Ghosn et son épouse. A l’époque, Me Baduel avait fait état de «soupçons» sur «l’usage inconsidéré des fonds de Renault» par son ex-patron via cette filiale.
L’été suivant, la suite des investigations avaient été confiées à trois juges d’instruction du pôle financier de Paris.
Selon une source proche du dossier, Mme Dati, qui nie toute irrégularité, aurait touché 900.000 euros d’honoraires en tant qu’avocate entre 2010 et 2012, alors qu’elle était à l’époque aussi députée européenne. Alain Bauer aurait quant à lui touché un million d’euros entre 2012 et 2016 pour des activités de consultant en sécurité, via sa société AB Conseil.
Perquisitions menées chez Renault
Entendu en septembre 2019 par les magistrates, Me Baduel avait maintenu ses accusations, en s’appuyant sur les résultats de l’enquête -aujourd’hui close- sur la fausse affaire d’espionnage chez Renault, auxquels il a eu accès en tant qu’avocat de l’un des mis en cause.
Dans le cadre de cette ancienne affaire, des perquisitions avaient été menées chez Renault, notamment dans le bureau de Carlos Ghosn, fin 2011. Or, selon une source proche du dossier, aucun élément attestant du travail de Rachida Dati n’y avait été retrouvé par les enquêteurs.
Selon Le Monde, qui avait publié un article en septembre dernier, les juges soupçonnent un «emploi de complaisance» de Mme Dati.
«Les policiers n’ont pas vraiment trouvé de trace concrète de son activité pour Renault, si ce n’est quelques actions s’apparentant à du lobbying, par ailleurs rigoureusement proscrites pour un député européen», écrivait le quotidien.
Selon la convention d’honoraires adressée à Carlos Ghosn par Mme Dati, dévoilée par Le Monde, cette dernière s’engageait à «l’assister dans la détermination de la conduite de la politique d’extension internationale» du groupe, «notamment dans les pays du Moyen-Orient et du Maghreb.»
Elle demandait une stricte confidentialité sur cette collaboration.
Les noms de Rachida Dati et d’Alain Bauer ont par ailleurs été cités dans un audit du cabinet Mazars, mené à la demande de Renault et Nissan afin d’examiner les dépenses litigieuses de RNBV, qui font l’objet d’une autre enquête judiciaire ouverte au parquet de Nanterre.
Ce rapport, transmis à la justice, a identifié 11 millions d’euros de dépenses suspectes de cette filiale à 50-50 entre Renault et Nissan, créée par Carlos Ghosn pour incarner l’alliance des deux constructeurs.