Libye: «Décrédibilisée, la France essaie de revenir par la petite porte»

© AP Photo / Michel EulerLe premier ministre libyen Fayez Al-Sarraj du gouvernement soutenu par l'ONU, à gauche, le président français Emmanuel Macron, au centre, et le général Khalifa Haftar, commandant de l'Armée nationale libyenne autoproclamée soutenu par L'Egypte à droite, Paris, France, mardi 25 juillet 2017.
Le premier ministre libyen Fayez Al-Sarraj du gouvernement soutenu par l'ONU, à gauche, le président français Emmanuel Macron, au centre, et le général Khalifa Haftar, commandant de l'Armée nationale libyenne autoproclamée soutenu par L'Egypte à droite, Paris, France, mardi 25 juillet 2017. - Sputnik Afrique
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Marginalisée des pourparlers de l’Onu par ses rivaux mais aussi par ses alliés, la France semble hors-jeu en Libye. Peut-elle refaire surface, comme elle tente de le faire actuellement? Analyse avec Jalel Harchaoui, spécialiste de ce pays en guerre depuis une décennie.

La France est l’un des principaux responsables de la guerre en Libye, mais se voit exclue du processus de paix. Depuis la déroute subie par les forces du maréchal Haftar face aux armées de Tripoli en juin dernier, et le cessez-le-feu accepté par les belligérants le 21 août, la France semble avoir perdu son aura sur les terrains militaire et diplomatique libyens. Dominant respectivement l’est et l’ouest du pays, la Russie et la Turquie ont permis, sous l’égide des Nations Unies, de lancer des pourparlers de paix à la suite du cessez-le-feu.

Une reconstruction dont la France est la grande absente. En cause, sa perte de crédibilité du fait de ses liens avec les Émirats, estime au micro de Lignes rouges Jalel Harchaoui, chercheur à l’Institut néerlandais des relations internationales Clingendael et spécialiste de la Libye:

«La France ne sait pas trop sur quel pied danser. Paris sait très bien que les processus de médiation et de négociation en Libye ne font pas trop attention à la France, parce qu’elle a trop été associée aux Émirats arabes unis et donc, a fortiori, au maréchal Haftar.»

À l’instar d’autres puissances comme la Russie, les Émirats arabes unis et l’Égypte, la France avait en effet apporté son soutien à celui qui dominait l’est libyen et se proclamait rempart contre le terrorisme et l’islam politique. Malgré une reconnaissance internationale, Paris avait délaissé le Gouvernement d’union nationale de Tripoli, administré par Fayez el-Sarraj et défendu par Ankara.

En définitive, la rivalité avec la Turquie et l’obstination à ne pas dénoncer les agissements des Émirats arabes unis dans cette guerre, semblent avoir eu raison du poids de la France dans les décisions en Libye. Contrairement d’ailleurs à l’Allemagne et aux États-Unis, qui ont privilégié ces derniers mois l’équilibre entre Haftar et Sarraj.

«Les Allemands n’écoutent plus tellement la France, les Américains certainement pas, et ce sont ces gens-là qui ont de l’importance, avec les Russes, les Turques, les Égyptiens. La France se sent un petit peu exclue, à juste titre. C’est pour cela qu’elle essaie de revenir», analyse le chercheur.

Le 22 septembre dernier, lors de l’Assemblée générale des Nations Unies, Emmanuel Macron avait annoncé, en associant à son initiative le secrétaire général de l’Onu, la réunion de «tous les pays voisins pour aider à faire émerger la solution libyenne». Un appel qui n’a pas été repris depuis et qui ne se concrétisera très probablement pas, augure Jalel Harchaoui:

«Ce sera très difficile de faire un sommet des pays voisins en 2020, même en 2021. [Ce sommet] n’est pas souhaité: ni l’Onu, ni les Américains, ni les Égyptiens, ni les Trucs, ni les Russes ne souhaitent que la France joue un rôle sur le plan diplomatique, parce que le processus a appris à vivre sans la France. La France s’est décrédibilisée. Et donc elle essaie de revenir, par la petite porte.»

La France tente de se rapprocher de Tripoli

Cette «petite porte» pourrait être ouverte par le ministre de l’Intérieur Fathi Bachagha, rival du Premier ministre Fayez el-Sarraj au sein du Gouvernement d’union nationale. Fortement contesté, ce dernier a annoncé à plusieurs reprises sa démission. Et c’est bien Fathi Bachagha qui pourrait le remplacer: du 18 au 20 novembre, il a été reçu à Paris, rencontrant son homologue à l’Intérieur Gérald Darmanin, mais aussi Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, et Florence Parly, ministre des Armées. Un tapis rouge qui en dit long, explique Jalel Harchaoui:

«Le fait d’être reçu par trois grands ministères régaliens trahit le désir de la France de flatter Fathi Bachagha en le recevant en tant que, de facto, Premier ministre.»

Et le spécialiste de la Libye d’ajouter:

«Fathi Bachagha est quelqu’un de très ambitieux, et la France a dit “pourquoi pas”. Parce que même si Fathi Bachagha est fortement associé à Ankara -l’ennemi mortel de Paris-, la France se dit “si je peux diviser, pourquoi pas. S’il arrive à ses fins, j’aurai un Premier ministre avec qui parler parce que je lui aurai fait plaisir au moment où il en avait besoin, et même s’il restera lié à la Turquie, on s’occupera ces prochains mois de diluer ce lien”.»

Malgré sa marginalisation, la France se montre donc opportuniste en tentant de faire de Fathi Bachagha un allié. Une stratégie que l’Élysée a peut-être décidé à partir d’un article de Bernard-Henri Lévy dans Paris Match, qui considérait que l’actuel ministre de l’Intérieur de Tripoli permettrait à «l’Union européenne et à Paris de faire contrepoids à Moscou et Ankara». Ce 24 novembre, dans les colonnes de Jeune Afrique, l’intéressé a lui-même confirmé le souhait «d’établir de bonnes relations avec la France».

Un calcul politique et des déclarations qui rendent pourtant Jalel Harchaoui sceptique: «Fathi Bachagha est indétachable de la Turquie et de ses intérêts», considère-t-il. Rien ne garantit donc qu’il ouvre suffisamment la porte à la France pour réintégrer le jeu libyen.

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