La seconde vague de l’épidémie de coronavirus, qui touche depuis la fin octobre une grande partie de l’Europe, ainsi que la décision prise par le gouvernement français de reconfiner le pays depuis le 30 octobre, auront des conséquences économiques importantes. Même si les règles de ce nouveau confinement sont moins strictes que celles du premier, l’impact en sera important.
La question de savoir comment ces conséquences économiques peuvent être appréhendées est complexe. Il faut donc ici préciser la nature de ces conséquences économiques. Nous avons tout d’abord les conséquences immédiates, qui découlent des mesures administratives concernant la fermeture d’activités économiques.
Des conséquences économiques variées dans le temps
Dans le cas de la France, ces mesures découlent du décret n° 2020-1310 du 29 octobre. Ce décret précise dans ses articles 37 à 41 les activités économiques et commerciales autorisées et interdites. Ainsi, près de 200.000 commerces considérés comme «non-essentiels» sont fermés par ce décret. Les conséquences immédiates sont donc facilement mesurables, et elles sont proportionnelles à la durée du confinement.
Mais ces conséquences immédiates n’épuisent pas la question. Il existe également des conséquences indirectes, qui découlent des effets induits pas l’épidémie. Ainsi, quand une entreprise est autorisée à travailler mais que son activité est durablement affectée par la mise en œuvre des protocoles sanitaires, ou que son activité est compromise parce que celle de ses sous-traitants est touchée ou rendue impossible par l’épidémie, on est en présence de conséquences indirectes.
Jacques Sapir et Clément Ollivier reçoivent David Cayla, membre des Économistes atterrés et maître de conférences à l’université d’Angers, auteur de Populisme et néolibéralisme: il est urgent de tout repenser (De Boeck Supérieur, 2020).
Il y a enfin les conséquences induites par le confinement. Ces dernières englobent alors les effets de l’incertitude liée à l’évolution de l’épidémie qui pèse sur les entreprises et les ménages. Ces effets incluent l’impact de la restructuration de la consommation du fait des pertes de revenu induites par le confinement, les effets liés à des situations irréversibles provoquées par le confinement (faillites d’entreprises), les pertes cumulatives dans le secteur éducatif, et enfin l’impact de la désorganisation générale de la société induit par cette épidémie.
Alors que les conséquences directes et indirectes du confinement étaient estimées par le FMI à 9,8% du PIB de 2019, l’ensemble des pertes jusqu’en 2022 était supposé se monter à 14,4%. Cela indique que les pertes induites pourraient représenter jusqu’à 47% des pertes directes et indirectes.
Un deuxième confinement alors que les effets du premier n’ont pas encore été surmontés
M. Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, a déclaré le 30 octobre qu’à la suite du premier confinement et dans le cadre des effets du second, l’économie française connaitrait un recul de son PIB de 11%. Dans les premiers jours de septembre, sous l’effet d’une reprise relativement forte de l’activité dès le mois de juin, il estimait ce recul à 9%.
Le ralentissement concernait cependant essentiellement le secteur des services. En octobre, le solde d’opinion relatif aux perspectives générales d’activité du secteur baissait de nouveau et restait donc largement en-dessous de son niveau moyen. Les chefs d’entreprise étaient bien plus pessimistes que le mois précédent sur leurs propres perspectives pour les trois mois suivants, les soldes sur l’activité prévue et la demande prévue chutant et s’éloignant encore de leur moyenne.
Ces mêmes chefs d’entreprises signalaient dans l’enquête réalisée par l’Insee que les anticipations sur la demande baissaient. Ceci confirmait que le rebond après le premier confinement était déjà en train de s’essouffler, pour des raisons diverses mais qui peuvent globalement être rangées dans la catégorie des conséquences induites du confinement.
Cette situation générale rendait déjà, au début du mois d’octobre, les prévisions officielles peu crédibles. Les prévisions du FMI, toujours en octobre, traduisaient cette inquiétude que l’on pouvait avoir sur le rythme du retour à la normale. On pouvait s’attendre à ce que le quatrième trimestre soit au mieux décevant. C’est donc dans ce contexte qu’est survenu le deuxième confinement, imposé par la très forte recrudescence de l’épidémie de Covid-19.
L’addition pourrait être élevée
Le nouveau confinement n’est donc la réplique exacte du premier, loin de là. Il est, pour l’heure, prévu pour un mois. Mais il est hautement probable qu’il soit prolongé de plusieurs semaines. Les écoles, collèges et lycées devraient rester ouvert, même si les conditions d’accueil des élèves peuvent varier, et de nombreuses entreprises aussi. Les mesures les plus immédiatement contraignantes concernent la restauration, l’événementiel, les activités liées au sport et les petits commerces qui ne sont pas de «première nécessité».
Dans le journal Les Échos, des économistes estimaient fin octobre le coût de ce nouveau confinement, s’il se limitait à quatre semaines, à 5% du PIB produit au quatrième trimestre. Globalement, cela devrait représenter un peu moins de 2% du PIB annuel, compte tenu de l’importance du PIB au quatrième trimestre.
Mais ceci ne tient pas compte des effets à moyen terme engendrés par ce nouveau confinement, qu’il s’agisse des effets indirects ou des effets induits. L’incertitude qu’engendre cette deuxième vague, dont nul ne peut dire si elle ne sera pas suivie par une troisième, va mettre à l’arrêt les principaux projets d’investissement des entreprises et pousser les ménages à suspendre leurs projets. L’investissement privé, qu’il s’agisse de celui des entreprises ou des ménages, va être la première victime de cette incertitude. Or sans investissement, il n’y aura pas de véritable reprise en 2021 et 2022.
La perspective d’une «décennie perdue»
Le deuxième confinement aura donc, en dépit des allègements par rapport au premier, des effets négatifs sur l’économie française. Ces effets seront liés à la fois à sa durée réelle (aujourd’hui d’un mois, mais potentiellement de six à huit semaines) et au degré d’incertitude sur le futur qu’il va introduire pour les acteurs économiques. Son impact sur l’accroissement des inégalités est plus que probable, même s’il ne peut être estimé avec précision à l’heure actuelle.
Le plus inquiétant reste cependant que dans les hypothèses les plus pessimistes, le niveau de 2019 ne serait pas retrouvé avant 2026-2028. Autrement dit, l’économie française connaîtrait du fait de l’épidémie l’équivalent d’une «décennie perdue».
Le coût de cette «décennie perdue» serait alors considérable. Il serait constitué moins des conséquences directes et indirectes de l’épidémie que de ses conséquences induites. Elles seraient importantes à la fois sur le niveau du chômage, les finances publiques et l’investissement.
En conséquence, le «potentiel de croissance» de l’économie française serait alors faible jusqu’en 2030, et sa capacité à retrouver, si ce n’est le plein emploi, mais tout simplement le niveau d’emploi de 2019, resterait très limité en restant dans les cadres actuels de l’euro et de l’UE.
Seule une politique très expansive des investissements publics, se substituant aux investissements privés défaillants, et accompagnée d’une modification substantielle du cadre institutionnel européen dans lequel s’inscrit l’économie française, serait susceptible d’éviter cette «décennie perdue».
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