Mardi 17 novembre, des échauffourées ont eu lieu à Paris sur le boulevard Saint-Germain, à la suite d’un rassemblement contre la proposition de loi sur la sécurité globale. L’appel avait été lancé par plusieurs organisations syndicales de journalistes et par la Ligue des droits de l’Homme. Devant les débordements occasionnés par ce rassemblement, qui a laissé neuf policiers blessés, plusieurs personnes ont été arrêtées, dont deux journalistes placés en garde à vue.
Deux journalistes placés en garde à vue
Sur Twitter, le directeur régional de France 3 Paris Île-de-France a condamné «cette arrestation abusive et arbitraire d’un journaliste dans l’exercice de son travail».
Après l'interpellation et la mise en garde à vue, hier soir à Paris, d'un journaliste du Réseau de France 3, la Direction de France Télévisions condamne cette restriction des droits de la presse et l’obstruction au bon exercice du droit d’informer.
— Francois Desnoyers (@FrancoisDesnoy1) November 18, 2020
L’autre journaliste interpellée est une jeune photographe, Hannah Nelson, travaillant pour le média Taranis News, classé à l’extrême gauche. Interrogée par Sputnik, elle nous explique les conditions de son interpellation et les «dix-sept heures de garde à vue» qui s’en sont suivies.
«J’étais en haut de la bouche du métro Solférino pour prendre des photos des manifestants lorsque les policiers décident de charger. J’ai juste eu le temps de me retourner avant qu’ils ne m’attrapent et me traînent sur quelques mètres. J’étais totalement étranglée, incapable de respirer […] On me menotte et on m’embarque dans un camion», relate Hannah Nelson au micro de Sputnik.
La photographe affirme ne pas avoir eu «le temps d’expliquer qu’elle était photojournaliste». Si elle ne «possède pas la carte de presse», Hannah Nelson rappelle que la «grande majorité des journalistes sont également dans cette situation», ce qui ne devrait pas les empêcher d’effectuer leur travail. «Le journalisme, ce n’est pas simplement un statut, c’est quelque chose qui se définit par des actions: écrire, se déplacer, informer. Ce n’est pas simplement une carte qui prouve quoi que ce soit.»
Les journalistes devront-ils «se rapprocher des autorités» pour couvrir une manif?
Lors d’une conférence de presse organisée mercredi 18 novembre, Gérald Darmanin s’est exprimé sur ces interpellations en expliquant qu’«il a été prévu de pouvoir mettre fin à cette manifestation qui était devenue illégale, puisque dépassant l’horaire, et y compris les personnes qui étaient des journalistes –c’est le Code de sécurité intérieure, là c’est le schéma du maintien de l’ordre– devaient être dispersées.»
On voit ici les effets concrets du nouveau "schéma du maintien de l'ordre". "Le délit constitué par le fait de se maintenir dans un attroupement après sommation ne comporte aucune exception, y compris au
— Pierre Tremblay (@tremblay_p) November 18, 2020
profit des journalistes ou de membres d’associations." 2/5 pic.twitter.com/7r5gvosBPp
En effet, depuis la mise en place du nouveau schéma national du maintien de l’ordre (SNMO) en septembre dernier, les journalistes «doivent, comme n’importe quel citoyen, obtempérer aux injonctions des représentants des forces de l’ordre en se positionnant en dehors des manifestants appelés à se disperser.» C’est d’ailleurs ce que tente d’expliquer un policier au journaliste freelance Clément Lanot, prié de s’éloigner après une sommation des forces de l’ordre.
Un policer menace de m’interpeller.
— Clément Lanot (@ClementLanot) November 17, 2020
Malgré ma carte de presse, caméra : un policier me demande d’arrêter de travailler et quitter la zone sous peine de garde à vue.
J’étais en dehors des tensions à ce moment et identifiable.
Ce n’est pas normal. pic.twitter.com/COK6IvX9Gj
En revanche, le ministre de l’Intérieur a ajouté une déclaration plus étonnante au sujet des journalistes accrédités pour couvrir une manifestation. «Je rappelle que si les journalistes couvrent des manifestations, […] ils doivent se rapprocher des autorités, en l’occurrence du préfet du département, singulièrement ici le préfet de police de Paris, pour se signaler, pour être protégés par les forces de l’ordre, pour pouvoir être distingués, pour pouvoir rendre compte de son travail de journaliste dans ces manifestations.»
Ecoutez bien cette courte déclaration de @GDarmanin qui parle de @ClementLanot journaliste menacé hier d'être interpellé en faisant son travail de journaliste sur la #Manifestation anti #PPLSecuriteGlobale avec caméra et carte de presse. 1/4 pic.twitter.com/CJpjT7jhM3
— LINE PRESS (@LinePress) November 18, 2020
Or, rien n’indique que les journalistes doivent se rapprocher des autorités compétentes pour couvrir une manifestation. Ni dans les textes de loi, ni même dans le SNMO cité par le ministre lui-même. Même la Préfecture de police de Paris ne semble pas être au courant de ces dispositions:
Monsieur @GDarmanin ? J’ai appelé la préfecture de police (@prefpolice) de Paris pour me faire accréditer..... et bien ils ne sont juste « pas au courant » 🤷🏻♂️ https://t.co/gq4NuVKWED pic.twitter.com/uZWgQoT33I
— Louis Witter (@LouisWitter) November 18, 2020
Cette déclaration a en tout état de cause été très mal reçue par de nombreux journalistes, qui y voient une dérive sécuritaire du gouvernement. Laquelle empièterait sur les libertés de la presse définies par la loi de 1881.
Non, aucune accréditation n'est nécessaire pour couvrir une manifestation @GDarmanin.
— Remy Buisine (@RemyBuisine) November 18, 2020
Nous n’avons pas à nous "rapprocher de la préfecture" pour faire librement notre travail de journaliste sur le terrain en France en toute indépendance.
Pour sa part, Hannah Nelson dit «ne pas comprendre le message de Gérald Darmanin.»
«On ne devrait pas avoir à prévenir les autorités pour faire notre métier librement. Nous sommes dans un pays censé nous garantir une liberté d’informer. Je ne vois pas pourquoi on devrait contacter préalablement le préfet pour exercer notre métier», s’inquiète Hannah Nelson au micro de Sputnik.
Ce mercredi 18 novembre sur Public Sénat, Valérie Gomez-Bassac, députée LREM du Var, entretenait d’ailleurs l’ambiguïté de la position gouvernementale sur le sujet. Alors qu’Éric Dupond-Moretti assurait dans une audition devant les sénateurs vouloir «réguler, au travers de la loi, notamment de 1881, les immixtions de ceux qui ne sont pas journalistes et qui ne méritent pas d’être protégés par cette loi», l’élue a affirmé que la loi sécurité globale avait entre autres vocation à donner «une protection et un service pour les journalistes qui font vraiment leur travail et qui donnent de la vraie information». Reste à savoir qui détermine ce qu’est une «vraie information»…
#PPLSecuriteGlobale : "Il ne faut pas la voir comme une atteinte à la liberté d’informer. C'est une protection, un service, pour les journalistes qui font vraiment leur travail, qui donnent de la vraie information." @VGB83 dans #ALPL pic.twitter.com/foawKKhtkC
— Public Sénat (@publicsenat) November 18, 2020