Au Sénat, des élus de droite comme de gauche, du LR (Les Républicains) Philippe Bas au socialiste Éric Kerrouche, plaident depuis plusieurs mois déjà pour réintroduire cette pratique postale disparue fin 1975, car jugée à l'époque propice à de «graves fraudes».
«Urgence» en temps de Covid
À l'Assemblée nationale, dans la majorité, le MoDem a déposé une proposition de loi en juin et se fait entendre ces derniers jours, juste avant la remise, vendredi, du rapport de l'ancien président du Conseil Constitutionnel, Jean-Louis Debré, consacré au report éventuel des élections régionales et départementales, initialement prévues en mars.
Par temps de Covid, il est «urgent d'ouvrir le chantier du vote à distance», a plaidé le député Jean-Noël Barrot mardi lors des questions au gouvernement.
Le centriste a pris l'exemple de l'élection de Joe Biden aux États-Unis, marquée par une participation «historique» des Américains favorisée par le «vote à distance».
Le «non» de l’Intérieur
Mais le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a souligné mardi les réticences du gouvernement, face aux risques de fraudes.
Il a aussi défendu le vote accompli «librement dans un isoloir», sans l'influence d'un «tiers», ni «poids communautaire» du «mari envers sa femme, de la femme envers son mari» ou des parents «envers leurs enfants».
Les députés LREM (La République en marche) sont aussi très prudents. «Attention aux idées de bon sens qui, derrière, sont complexes et avec un fort enjeu démocratique», met en garde Yaël Braun-Pivet, présidente de la commission des Lois.
La «comparaison» avec les États-Unis ne «vaut pas raison», abonde Guillaume Vuilletet. «C'est une tradition chez eux».
Selon un autre «marcheur», qui y est favorable, «on n'échappera pas au débat».
Cette pratique est «à bannir» en raison des «fraudes» qu'elle engendre, selon la présidente du Rassemblement national Marine Le Pen, dont le parti a relayé sur les réseaux sociaux les accusations de fraude de Donald Trump.
Légalement, réintroduire le vote par correspondance, sous pli postal fermé, ne nécessite «pas de changement constitutionnel» et pourrait se faire dans un délai relativement court, par un article dans un projet de loi, explique le maître de conférences en droit public Benjamin Morel.
Ce constitutionnaliste reste pour autant «dubitatif» sur une telle mesure, qui peut «poser une question de confiance dans la démocratie» et «ouvrir la voie à des contestations», comme aux États-Unis, «même si elles n'aboutiront probablement pas sur le fond».
La pratique du vote par correspondance en France
En décembre 1975, quand le ministre de l'Intérieur Michel Poniatowski défend la fin du vote par correspondance, il cite plusieurs «chefs d'accusation»: «bourrage d'urnes», «faux émargement», «envoi par le maire des bulletins d'une seule liste: celle qu'il conduisait»...
Et la fraude «ne concerne nullement exclusivement certaines régions ou certaines formations politiques», souligne le ministre, alors que la Corse est régulièrement citée.
Mais les défenseurs du vote par correspondance, comme le politologue et sénateur PS Eric Kerrouche, considèrent que les moyens de sécurisation sont aujourd'hui «sans commune mesure» avec les années 1970. Et citent le recours à cette pratique en Allemagne.
Le président PS du conseil régional de Bretagne Loïg Chesnais-Girard suggère en outre de développer le vote «en ligne» ou d'ouvrir les bureaux de vote «plusieurs jours».
Les communistes se disent «réservés, voire très réservés» et le patron de l'UDI, Jean-Christophe Lagarde, «extrêmement réticent». Il préconise plutôt «l'élargissement des procurations».