C’est désormais acté, Alassane Ouattara rempile officiellement pour un nouveau mandat, le troisième, à la tête de la Côte d’Ivoire. Le 9 novembre, le Conseil constitutionnel a, sans surprise, jugé régulier le scrutin présidentiel du 31 octobre.
Le boycott du vote par l’opposition et les violences qui ont eu lieu avant et pendant sa tenue viennent cependant entacher la légitimité de la réélection de chef de l’État ivoirien.
L’appel au dialogue
Pour désamorcer les tensions toujours particulièrement vives en Côte d’Ivoire, alors que l’opposition réunie au sein d’un Conseil national de transition (CNT) ne reconnaît pas sa victoire, Alassane Ouattara, qui assure vouloir être le «Président de tous les Ivoiriens», a, dans une adresse à la nation le 9 novembre, fait part de sa «disponibilité pour un dialogue sincère et constructif avec l’opposition, dans le respect de l’ordre constitutionnel».
Mieux, il a invité «son aîné» et ex-allié, l’ancien Président Henri Konan Bédié qui dirige le CNT, à une rencontre les jours à venir pour un échange «franc et sincère en vue de rétablir la confiance».
Merci à tous pour vos messages de soutien. La mobilisation doit se poursuivre pour que soit dévoilée aux yeux du monde entier la torture que fait subir au peuple le régime en place. Ensemble, nous rendrons la Côte d'Ivoire réconciliée, unie, et prospère. Ensemble nous vaincrons.
— Henri Konan Bédié (@HKBofficiel) November 7, 2020
Pour Hichem Ben Yaïche, expert en géopolitique et spécialiste de l’Afrique subsaharienne interrogé par Sputnik, l’invitation au dialogue d’Alassane Ouattara «n’est pas du tout gagnée». Il intervient au lendemain d’un appel à la poursuite de la mobilisation contre «le régime de la peur instauré par Alassane Ouattara», lancé par Henri Konan Bédié.
«On est encore dans une forme de guérilla politique. C’est à celui qui déstabilise et fragilise l’autre. Difficile de discuter après avoir franchi le Rubicon avec des déclarations publiques. La main tendue d’Alassane Ouattara montre sa volonté de renouer le dialogue. Mais dialoguer sur quoi et autour de quoi? Ouattara, d’instinct, sent le danger, mais il est dans une nasse. Reculer est un aveu de faiblesse aux yeux de ses adversaires. Les scénarios de sortie de crise ne sont pas nombreux», a-t-il déclaré.
Vu que personne ne veut céder, estime l’expert en géopolitique, la situation risque de perdurer. «Il faut des gens pour faire les bons offices afin de pousser les différents acteurs à converger. Mais ce sera difficile. Le pouvoir exerce un magnétisme sur les êtres au point de leur faire perdre le sens des réalités. On marche sur un terrain miné», a-t-il souligné.
La volte-face à l’origine des tensions
À la tête de l’État depuis 2011, Alassane Ouattara, 78 ans, avait solennellement annoncé en mars 2020 son intention de ne pas briguer de troisième mandat et, surtout, de transférer le pouvoir à la jeune génération. Une décision largement saluée en Côte d’Ivoire et un peu partout dans le monde. Mais il s’était finalement rétracté quelques mois plus tard, évoquant un «cas de force majeure» à la suite du décès du Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, son dauphin désigné.
Je salue la décision historique du Président @AOuattara_PRCI, homme de parole et homme d’État, de ne pas se présenter à la prochaine élection présidentielle. Ce soir, la Côte d’Ivoire donne l’exemple. https://t.co/oDcmBl1sNW
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) March 5, 2020
L’opposition n’a de cesse depuis de contester sa décision (et maintenant sa réélection) qu’elle juge inconstitutionnelle, estimant que la Constitution ivoirienne limite à deux le nombre de mandats présidentiels. Un avis que n’a pas partagé le Conseil constitutionnel qui, le 14 septembre, a validé la candidature d’Alassane Ouattara, tout en écartant 40 autres prétendants, dont l’ancien chef d’État Laurent Gbagbo et l’ex-Premier ministre Guillaume Soro.
Au lendemain de l’élection présidentielle du 31 octobre, les partis et groupements politiques de l’opposition, soutenant qu’un troisième mandat d’Alassane Ouattara était susceptible d’entraîner une guerre civile, ont créé le Conseil national de transition. Ce gouvernement parallèle s’est donné pour missions de «préparer le cadre de l’organisation d’une élection présidentielle juste, transparente et inclusive; de mettre en place un gouvernement de transition et de convoquer des assises nationales pour la réconciliation nationale en vue du retour à une paix définitive en Côte d’Ivoire».
Le gouvernement a aussitôt contré ce mouvement, qu’il juge comme un acte de sédition. Les domiciles à Abidjan de plusieurs leaders de l’opposition sont depuis le 3 novembre sous blocus des forces de l’ordre.
Pas de sortie de crise à l’horizon
L’opposition a déjà maintes fois déclaré qu’elle excluait toute discussion en dehors de la supervision d’une médiation internationale. Hichem Ben Yaïche voit pourtant mal Alassane Ouattara autoriser une ingérence de ce type. Selon lui, en l’absence de discussions, ce sont les tensions qui vont imposer le rapport de forces. «La nature des positions inquiète car elle risque de diviser les Ivoiriens. Et cela, chacun le sait, conduit aux violences. La violence, comme la tempête, s’amplifie en avançant. On sait quand elle commence, mais on ne sait jamais quand elle prend fin. La Côte d’Ivoire est à vif, mais aspire à la tranquillité.»
«Alassane Ouattara n’a pas résolu les problèmes profonds du pays. Certes la croissance économique était là, mais la croissance ne se mange pas. Les inégalités ont été très peu résorbées, l’écart entre riches et pauvres est devenu abyssal. La théorie du ruissellement n’a pas eu lieu ou peu. Trop peu», conclut le spécialiste sur une note pessimiste.