«Mes collègues sont épuisés. Le problème c’est que l’on est de moins en moins nombreux.»
Sylvie, infirmière de nuit à l’hôpital Saint-Louis AP-HP (Xe arrondissement de Paris), ne peut cacher son inquiétude face à la situation de l’hôpital public. Alors que le «Ségur de la Santé» de l’été 2020 était supposé changer la donne, selon elle, c’est le statu quo.
Pourtant, l’État s’est engagé à investir 19 milliards d’euros dans le système de santé afin d’améliorer la prise en charge des patients et le quotidien des soignants. En outre, un investissement de 8,2 milliards d’euros par an est prévu pour revaloriser les métiers des établissements de santé et des EHPAD. Ou encore, la promesse de recruter 15.000 personnes au sein de l’hôpital public.
«Pour l’instant, tout ce que je vois depuis cet été, ce sont des gens qui partent de l’hôpital, qui partent en province, qui arrêtent carrément le métier. Ils n’en peuvent plus de travailler dans des conditions qui ne font malheureusement que se dégrader», tonne Sylvie.
Un sentiment d’épuisement général qui traverse la profession. Selon une consultation de l’Ordre national des infirmiers, 37% d’entre eux estiment que «la crise que nous traversons leur a donné l’envie de changer de métier et 43% “ne savent pas s’ils seront toujours infirmiers dans 5 ans.”»
Des soignants au bord de la rupture
Comme le confesse l’infirmière, dans son service, le manque de personnel –notamment de médecins et d’infirmiers– se traduit par des fermetures de lits. Or, la crise sanitaire est loin d’être terminée et a déjà laissé des traces.
«On a de plus en plus de patients hospitalisés pour la maladie de la Covid. On a du stress, de toute façon, le stress ne nous a jamais quittés depuis la première vague», déplore Sylvie.
Au-delà de miner le moral des troupes et de détériorer les conditions de travail, le manque de personnel a aussi d’autres conséquences: certains hôpitaux doivent fermer des services pour faire face à l’augmentation des cas de Covid-19.
«Nous ne sommes pas assez pour travailler, des lits sont fermés»
Ce vendredi, des soignants et des élus se sont rassemblés devant l’#HôtelDieu à #Paris pour protester contre la fermeture des urgences de l'hôpital pic.twitter.com/IOPmoEMK0j
— Sputnik France (@sputnik_fr) November 6, 2020
Présente à cette manifestation, Sylvie, munie d’une pancarte «si l’hosto n’embauche pas, ton cancer attendra», fustige cette mesure.
«Puisque nous ne sommes pas assez pour travailler, des lits sont fermés. Inévitablement, il y a des patients qui sont pris beaucoup plus tardivement. Lors de la première vague, on a vraiment consacré une énorme partie de l’hôpital aux patients atteints du Covid-19 et pendant ce temps-là, on n’a pas soigné d’autres personnes atteintes de cancer, par exemple», se remémore-t-elle.
Comme le relate Libération, «en juin dernier, un rapport de la Caisse nationale d’assurance maladie estimait que le confinement avait, au niveau national, réduit de près de 182.000 les coloscopies, et conduit à déprogrammer quelque 700.000 interventions en bloc opératoire.»
«Si l’hosto n’embauche pas, ton cancer attendra»
Néanmoins, Sylvie tient à souligner que «cela fait des années que ça dure». «Il y a des gens qui ont des rendez-vous pour des cures de chimio et on les appelle pour leur dire que c’est retardé parce que le lit a été pris», détaille l’infirmière de nuit.
«Ça ne date pas que du Covid, mais ça s’amplifie par rapport à la crise.»
Pour tenter d’alerter sur cette situation qui se dégrade, Sylvie colle des affiches depuis plus d’un an, notamment à l’intérieur de son établissement.
«C’est un moyen direct d’informer les Français et mes collègues sur ce qu’il se passe au niveau de la Santé en général, et au niveau de l’hôpital.»
Elle espère désormais que le gouvernement répondra aux doléances des soignants, à savoir des augmentations de salaire pour rendre la profession attractive, et de fait faciliter les recrutements. Sylvie concède que les hausses prévues sont «un début», mais «on réclamait 300 euros pour être mieux classé au niveau des salaires des infirmiers de l’OCDE.»
«Ce n’est pas les 180 euros supplémentaires qui feront rester les gens», conclut-elle avec amertume.