Le Haut-Karabakh subit «un véritable nettoyage ethnique», selon son représentant en France

© AFP 2024 KAREN MINASYANDes Arméniens pleurent la mort d'un soldat
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Les combats entre forces arméniennes du Haut-Karabakh et l’armée azerbaïdjanaise font toujours rage, malgré les appels de la communauté internationale à cesser les hostilités. Hovhannès Guévorkian, représentant du Haut-Karabakh en France, dépeint à Sputnik une situation d’urgence humanitaire et en appelle à la communauté internationale.

Loin de se calmer, le conflit s’intensifie. Le Haut-Karabakh, ou République d’Artsakh pour les Arméniens qui composent à majorité cette région ayant fait sécession de l’Azerbaïdjan, est plus que jamais le théâtre de violents affrontements entre forces arméniennes et l’armée azerbaïdjanaise.

Dans une récente interview donnée à Sputnik, le Président azerbaïdjanais Ilham Aliev assurait que son pays «ne consentirait à l’indépendance du Haut-Karabakh en aucun cas.»

Le cessez-le-feu négocié à Moscou le 10 octobre n’a pas été suivi d’effet et les deux camps se rejettent la responsabilité de la poursuite des hostilités. Le Haut-Karabakh dénonce régulièrement les bombardements de la part des forces de Bakou sur sa capitale, Stepanakert. Le 14 octobre, l’armée de la République autoproclamée a informé qu’un hôpital militaire avait été pris pour cible à Martakert, dans le nord-est de la région. Depuis le début du conflit, les deux adversaires s’accusent mutuellement de s’en prendre à des civils. Il est très difficile de connaître le bilan des victimes, les informations n’étant que partielles.

​Le 13 octobre, le directeur Eurasie du Comité International de la Croix-Rouge, Martin Schuepp, tirait la sonnette d’alarme: «Après deux semaines de combats intenses, et s’intensifiant malheureusement […] nous voyons que des centaines de milliers de personnes sont déjà affectées dans la région.»

Escalade locale, bientôt internationale?

Le conflit au Haut-Karabakh revêt également une forte dimension géopolitique. Ilham Aliev est soutenu par la Turquie de Recep Tayyip Erdogan. Bakou assure de son côté qu’il ne compte pas demander d’aide militaire au Pakistan ni à la Turquie. Cette dernière est notamment accusée d’avoir envoyé dans la région des mercenaires djihadistes venus de Syrie. Moscou et Paris confirment la présence de tels combattants sur le front.

Hovhannès Guévorkian est représentant de la République d’Artsakh en France depuis 2003, bien que Paris ne l’ait jamais officiellement reconnue. Il a répondu aux questions de Sputnik sur un conflit qui inquiète de plus en plus au niveau international. Entretien.

Sputnik France: Quelles sont les dernières nouvelles du front?

Hovhannès Guévorkian: «L’armée azerbaïdjanaise bombarde les positions des forces du Haut-Karabakh. Elle vise également les villes qui sont pour la plupart vidées de leurs populations civiles. Une partie de ces dernières s’est réfugiée en Arménie voisine. Ceux qui ne sont pas partis s’abritent dans des souterrains anti bombardement. Les troupes azerbaïdjanaises au sol tentent d’enfoncer les positions de l’armée du Haut-Karabakh, sans avoir réussi de percée majeure.»

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Sputnik France: Quelle est votre perception par rapport à ce conflit? 

Hovhannès Guévorkian: «Ce qu’il se passe au Haut-Karabakh est un véritable nettoyage ethnique. Cela se caractérise par un déplacement forcé de populations civiles, ce qui est le cas sur ce territoire, où environ 75.000 personnes sur 150.000 ont dû quitter leur maison. La majorité a fui vers l'Arménie. Ceux qui ont la possibilité de prendre les armes pour défendre les frontières de notre République sont au front et résistent courageusement afin de contenir les forces azerbaïdjanaises. Celles-ci, à chaque prise d’un village, même si c’est pour quelques heures, brûlent les maisons et les infrastructures civiles afin d’empêcher tout retour des populations arméniennes.»

Sputnik France: Les deux camps s’accusent mutuellement de violer le cessez-le-feu conclu à Moscou le 10 octobre. À qui la faute?

Hovhannès Guévorkian: «Vous avez affaire à un Azerbaïdjan qui est dirigé par un pouvoir dictatorial, où les résultats des élections sont annoncés avant le scrutin. C’est ce pouvoir qui accuse les Arméniens d’attaquer l’Azerbaïdjan. Or, de grandes puissances comme la Russie, la France ou les États-Unis détiennent des renseignements inverses.

Bakou dément avoir reçu le soutien de mercenaires venus de Syrie ou de Libye. Encore une fois, des pays comme la France, l’Iran ou la Russie ont affirmé la présence de ces derniers sur le front. L’Azerbaïdjan minimise également le soutien qu’il reçoit de la Turquie, alors que tout confirme l’inverse. Chacun est libre d’accorder le crédit qu’il veut aux paroles du pouvoir azerbaïdjanais.»

​Sputnik France: La Turquie appelle à des pourparlers à quatre, sans la France ni les États-Unis, qui sont pourtant membre du groupe de Minsk chargé de trouver une solution au conflit. Qu’en pensez-vous?

Hovhannès Guévorkian: «Naturellement, Ankara essaie de se positionner comme une puissance médiatrice. Le premier devoir d’un tel rôle est de ne pas prendre part au conflit. C’est loin d’être le cas pour la Turquie. Elle aide l’Azerbaïdjan sur les plans politique, diplomatique et militaire. Elle arme aussi Bakou. Comment Ankara pourrait-il être perçu comme un médiateur dans ce conflit? La Turquie cherche à obtenir le partage du Caucase du sud afin d’étendre son influence, notamment en Azerbaïdjan, mais aussi dans d’autres pays turcophones d’Asie centrale. Selon moi, c’est en gardant cela à l’esprit qu’il faut considérer la proposition de la Turquie et c’est ce qui explique sa volonté d’exclure ou d’éloigner la France et les États-Unis.»

​Sputnik France: Qu’attendez-vous de la France dans ce conflit? Emmanuel Macron a dénoncé la présence de combattants djihadistes sur place. Mais dans le même temps, Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, a annoncé que la France devait rester neutre…

Hovhannès Guévorkian: «Le groupe de Minsk, coprésidé par les États-Unis, la Russie et la France, a été créé pour régler le problème du Haut-Karabakh. Si dans les semaines qui viennent, il devait disparaître parce que l’Azerbaïdjan aura réussi à chasser et anéantir la population sur place, quel sens aurait l’existence du groupe de Minsk? Quel sens aurait la neutralité de tel ou tel pays si la raison même d’exister de ce groupe disparaissait?»

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Sputnik France: Les Américains, qui étaient plutôt en retrait depuis le début du conflit, se sont exprimés par la voix de leur secrétaire d’État, Mike Pompeo. Il a déclaré: «Nous espérons que les Arméniens pourront se défendre contre ce que font les Azerbaïdjanais.» C’est une prise de position forte…

Hovhannès Guévorkian: «Je ne sais pas si cette déclaration est en faveur de l’Arménie et des Arméniens. En tous cas, elle confirme que c’est bien l’Azerbaïdjan qui agresse les Arméniens. Et vous pouvez imaginer que quand des personnalités comme le Secrétaire d’État américain, le Président de la République française ou les services compétents de la Fédération de Russie affirment une information, cela a été vérifié en amont.

La Turquie, médiateur ou partie prenante?

Chaque déclaration qui va dans le sens d’une reconnaissance de l’urgence de la situation face à ce risque de nettoyage ethnique est qualifiée de pro-arménienne. Or, il est important d’avoir un langage de vérité face à cette situation d’urgence humanitaire qui est celle des populations civiles du Haut-Karabakh. Certes, il faut que décideurs politiques agissent, mais au-delà d’une action politique il est tout aussi important que chacun d’entre prenne conscience de cette tragédie et en tire une ligne de conduite.»

Sputnik France: Selon vous, quel rôle doit jouer Moscou dans cette guerre?

Hovhannès Guévorkian: «La Russie doit jouer le rôle qui lui a été attribué en tant que co-président du Groupe de Minsk. Elle doit aussi agir de concert avec ses intérêts, qui sont ceux d’une désescalade dans une région qui est proche de ses frontières. Le mandat du Groupe du Minsk veut que la question du Haut-Karabakh se règle de manière pacifique. Je ne pense pas que ce à quoi nous assistons aujourd’hui se déroule dans ce cadre. Quand le pacte est rompu unilatéralement par l’Azerbaïdjan, cela remet en cause tout ce qui a pu être précédemment fait par le Groupe de Minsk, en partie sous l’égide de la Fédération de Russie.

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Le droit international inclut le droit à l’autodétermination des peuples. C’est ce que réclament les Arméniens du Haut-Karabakh. Il est nécessaire d’arriver à un accord au niveau de la communauté internationale afin que cette population puisse avoir le droit à l’existence et à la sécurité. L’attitude de l’Azerbaïdjan met en péril toutes les avancées qui avaient été réalisées en ce sens. Bakou a bien compris que sans population arménienne au Haut-Karabakh, il n’y plus de question du Haut-Karabakh. Nous appelons tous les pays –et avant tout la Fédération de Russie– à redoubler d’efforts afin de faire respecter ce qui a été convenu depuis maintenant 26 ans dans le cadre du Groupe du Minsk.»

​Sputnik France: Craignez-vous comme certains observateurs que les affrontements au Haut-Karabakh ne dégénèrent en un conflit international?

Hovhannès Guévorkian: «Tout dépendra de ce que fera la Turquie. L’Azerbaïdjan n’aurait ni l’audace ni les moyens de mener une telle offensive sans le soutien d’Ankara. Si la Turquie diminue ou cesse son aide militaire, ainsi que le déploiement de mercenaires venus de Syrie et de Libye, les chances que le conflit s’internationalise s’amenuisent.

Ankara souhaite étendre son influence et son expansion que ce soit en Europe, en Syrie ou en Libye et maintenant au Caucase du Sud où, si les hostilités ne cessent pas, la situation pourrait, par jeux d’alliances, dégénérer au niveau international. Naturellement, j’espère que l’on n’en arrivera pas là. Cela mènerait à des destructions et des pertes humaines encore plus importantes que ce que nous déplorons aujourd’hui au Haut-Karabakh.»

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