Dans la nuit du 6 au 7 octobre dernier, un patrouilleur de la marine sénégalaise a intercepté un contingent de 183 personnes, «dont des femmes et des mineurs», entassées dans deux pirogues de fortune en partance pour l’Espagne. L’opération, coorganisée avec une vedette de la «Guardia Civil» espagnole appartenant au dispositif européen de lutte contre l’émigration clandestine Frontex, s’est déroulée au large de Mbour à environ 70 km de Dakar.
Ces migrants, qui seraient sénégalais et gambiens, ont été regroupés dans une base navale dakaroise afin de «déterminer avec précision leur identité, leurs commanditaires, leur nationalité et leurs lieux exacts de départ», selon une note de la Direction de l’information et des relations publiques de l’armée (Dirpa).
Saint-Louis : Les 35 candidats à l'émigration clandestine arrêtés libérés - https://t.co/IBup4TJEi9 #Senegal #Kebetu #team221 #Touba #magal #18safar pic.twitter.com/OHnIRn8sxr
— senegal7 (@senegal7com) October 13, 2020
La recrudescence de l’émigration irrégulière à partir du Sénégal a atteint des proportions inquiétantes, constate l’Association des journalistes en migration et sécurité (AJMS) dans un document rendu public le 10 octobre.
«La persistance de l’émigration irrégulière traduit l’échec de la politique de jeunesse mise en place par l’État à travers les structures dédiées comme l’Agence nationale pour la promotion de l’emploi des jeunes, la Direction générale des Sénégalais de l’extérieur, l’Agence nationale de la maison des outils, etc.», tranche Daouda Gbaya, président de l’AJMS.
Les «prises» effectuées par la marine et la gendarmerie sénégalaises dans les multiples zones d’embarquement du pays sont certes notables. Mais les flux de migrants qui parviennent à leurs fins en touchant le sol espagnol sont beaucoup plus significatifs.
Selon la BBC, qui cite la Croix-Rouge, «plus de 1.000 migrants venus du Sénégal et de la Gambie sont arrivés dans les Îles Canaries espagnoles en 48 heures. Des chiffres jamais enregistrés ici depuis plus d’une décennie».
More than 1,000 migrants from Senegal and The Gambia have arrived in the Spanish Canary Islands over the last 48 hours, the Red Cross says. These are figures that have not been seen for more than a decade. https://t.co/aob5dGRFhO
— Rachael Akidi (@rakidi) October 12, 2020
«Plus de 1.000 migrants du Sénégal et de la Gambie sont arrivés aux Îles Canaries espagnoles au cours des 48 dernières heures, selon la Croix-Rouge. Ce sont des chiffres qui n’ont pas été enregistrés depuis plus d’une décennie.»
«Je ne suis pas sûr qu’il faille parler de recrudescence car le fait migratoire irrégulier n’a jamais cessé de se réaliser. On assiste plutôt une reprise de la médiatisation», explique à Sputnik Aly Tandian, directeur du laboratoire d’études et de recherches sur les migrations et faits de société à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis.
«Après le "phénomène des pirogues", des milliers de jeunes Sénégalais ont choisi de partir par le désert. J’estime que les inquiétudes ne devraient pas être limitées à l’irrégularité du voyage de ces candidats à la migration, mais plutôt orientées vers la méconnaissance des raisons profondes des migrations», poursuit-il.
Placer la migration au cœur des agendas politiques
La responsabilité des pouvoirs publics est souvent mise en cause par les organisations de la société civile, même si les parents des migrants potentiels sont couramment accusés, également, de financer le départ de leurs enfants. Selon Aly Tandian, qui préside par ailleurs l’Observatoire sénégalais des migrations, il est nécessaire que les autorités politiques fassent mieux et plus.
Une allusion à une critique récurrente dans les pays du Sud mis sous pression par les États européens afin qu’ils contrôlent en amont le phénomène migratoire.
Au Sénégal, les autorités collaborent depuis 2004 avec l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes pour «aider les États de l’Union européenne et les pays associés à l’espace Schengen à protéger les frontières extérieures» de l’UE, rappelle Aly Tandian. Toutefois, des dysfonctionnements notés dans «la surveillance des routes migratoires vers l’Italie en provenance de Libye et d’Égypte» doivent interpeller.
Ainsi, face au durcissement des contrôles en interne, les candidats africains à l’émigration clandestine se tournent vers d’autres pays comme l’Algérie ou la Libye pour réaliser leur rêve. Mais Tripoli et Alger déroulent également des politiques sévères contre les groupes de migrants qui tentent de passer par leur territoire.
L’#Algérie aurait expulsé des milliers de #migrants vers le #Niger (HRW) https://t.co/yAZSExvMlW via @ObservAlgerie
— HRW en français (@hrw_fr) October 11, 2020
Selon un rapport de l’ONG américaine Human Rights Watch (HRW) en date du 12 octobre, «l’Algérie a expulsé [le 3 octobre] 705 adultes et enfants de 18 nationalités différentes vers le désert, puis a renvoyé de force 957 Nigériens à bord d’un convoi vers leur pays le 5 octobre, et a enfin expulsé 660 personnes de 17 nationalités vers le désert à nouveau le 8 octobre».
4/4 [cont] Nationality of rescued: Algeria 10, Bangladesh 5, Cameroon 2, Gambia 2, Ghana 14, Guinea 3, Ivory Coast 22, Kenya 3, Liberia 1, Mali 51, Morocco 46, Niger 14, Nigeria 11, Senegal 1, Sierra Leone 1, Somalia 37 and Sudan 4. #migrantcrisis #frontex #seenotrettung pic.twitter.com/25DbNk7m1f
— Migrant Rescue Watch (@rgowans) October 11, 2020
Le navire des garde-côtes libyens «Ras Jadar» a sauvé lors de trois opérations distinctes 227 #migrants, dont 27 femmes et 22 enfants. Tous ont débarqué en toute sécurité dans la base navale de Tripoli. Aucun cas de disparition ou de décès n’a été enregistré.
«Pourquoi citer l’Algérie uniquement? La sévérité est déjà dans tous les pays membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) où il existe, pourtant, un protocole de libre circulation des biens et des personnes. La réalité est que les candidats à la migration sont partout lourdement stigmatisés. Il ne faut pas se pencher uniquement sur les pays d’établissement ou de transit, la violence est d’abord dans leur État d’origine en termes de mépris, de non-accès aux services sociaux de base, aux terres et même à la parole», conclut Aly Tandian.