L’Histoire est politique. On l’a vu cet été avec les destructions de statues d’esclavagistes et la dégradation de la statue de Colbert à l’Assemblée nationale par des militants décoloniaux. Ce 12 octobre, le musée d’Histoire de Nantes en a fait l’amère expérience, annonçant le report de l’exposition consacrée à Gengis Khan du fait, non pas de militants, mais de l’interventionnisme des autorités chinoises. L’institution évoque même «une censure à l’égard du projet initial».
🚩 L'#expoGengisKhan est reportée en 2024!
— Château des ducs de Bretagne (@ChateauNantes) October 12, 2020
Le durcissement, cet été, de la position du gouvernement chinois à l'encontre de la minorité mongole nous engage à reconstruire l'expo avec des collections européennes et américaines #museumsarenotneutral https://t.co/87re4ybx3i
Prévue en partenariat avec le musée de Mongolie-Intérieure à Hohhot (Chine), l’exposition, repoussée une première fois à cause de la crise sanitaire, avait été reprogrammée début 2021. Signé de son directeur, Bertrand Guillet, le communiqué du musée a donc exprimé sa volonté de la reporter à 2024.
Celui-ci s’est plaint d’une «injonction des autorités centrales chinoises à faire disparaître de l’exposition des éléments de vocabulaire (les mots Gengis Khan, empire et mongol)», puis d’une «annonce de modification du contenu de l’exposition accompagnée d’une demande de contrôle de l’ensemble de (ses) productions (textes, cartographies, catalogue, communication)». Selon le musée, le nouveau projet «écrit par le bureau du patrimoine de Pékin» comportait des «éléments de réécriture tendancieux visant à faire disparaître totalement l’histoire et la culture mongole au bénéfice d’un nouveau récit national».
Imposer un récit national à l’étranger
Comment expliquer cette pratique des autorités chinoises à propos d’une figure historique mongole du XIIIe siècle? Rappelons que la Chine compte 6,5 millions de Mongols qui habitent principalement en Mongolie intérieure. Le «durcissement», évoqué plus tôt par le musée, fait notamment allusion à une récente politique linguistique de Pékin, qui accroît l’enseignement du mandarin au détriment du mongol. Une annonce qui a déclenché en septembre des manifestations sur ce territoire. Joint par Sputnik, Antoine Bondaz, chercheur à la FRS (Fondation pour la Recherche stratégique) et spécialiste de la Chine, se désole de cette polémique.
«Cela démontre non seulement que Pékin est en train de durcir sa politique vis-à-vis des minorités, avec un objectif clair qui est de créer un nouveau récit national, mais aussi que Pékin cherche à imposer désormais ce récit national à l’étranger.»
La «politisation de toute coopération»
Rejetant toute volonté d’ingérence ou d’interférence dans les affaires intérieures de la Chine, Antoine Bondaz se veut seulement «critique de ce type de coopération scientifique que la Chine tente d’imposer à l’étranger». Il s’insurge contre ce raidissement qui a pour conséquence «la politisation de toute coopération internationale scientifique et culturelle» afin de mettre en place ce «récit national». Ce qui pose problème pour l’ensemble de la communauté scientifique, poursuit-il, qui se doit de défendre «la neutralité, l’intégrité et la déontologie».
Pékin ne prête plus œuvres d’art et de pièces historiques, Pékin impose un récit politisé à l’étranger allant à l’encontre de l’impartialité et de la rigueur scientifique.
— Antoine Bondaz (@AntoineBondaz) October 12, 2020
Je plains les scientifiques chinois et notamment ceux en sciences sociales dont évidemment les historiens. https://t.co/XCxAICXDq8
Dans le même esprit, le film Mulan, réalisé par Disney notamment au Xinjiang et sorti en septembre 2020, a suscité la polémique, après avoir été accusé d’avoir cédé à la propagande de Pékin. Une injonction qu’a donc refusée le musée. Les remerciements à la fin du film adressés aux autorités du Xinjiang ont également fortement déplu aux ONG, du fait du traitement infligé aux Ouïghours. In fine, le film, critiqué par les internautes chinois, a fait un flop. C’est ainsi qu’Antoine Bondaz juge «contre-productive» cette tentative de politisation des autorités chinoises de l’exposition Gengis Khan, car elle ne traite aucunement des problématiques contemporaines liées à la Mongolie intérieure:
«En cherchant à imposer un nouveau récit national, en cherchant à diluer de fait l’identité mongole et leur histoire, les autorités de Pékin ne font que braquer les projecteurs internationaux sur cette pratique et s’attirent les critiques internationales.»
Reportée à 2024, l’exposition Gengis Khan aura toutefois bien lieu, annonce le musée, mais elle sera «nourrie de collections européennes et américaines». Un exemple de plus du fossé politique grandissant entre l’Occident et la Chine?