Invité de BFMTV le 8 octobre, le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, a évoqué la problématique des jeunes délinquants. Ce dernier a remis sur la table la possibilité d’encadrer militairement certains mineurs et jeunes majeurs qui connaissent des problèmes avec la justice.
Éric Dupond-Moretti (@E_DupondM) est favorable à un encadrement militaire pour "certains mineurs ou jeunes majeurs délinquants" pic.twitter.com/zRmJWCOA4E
— BFMTV (@BFMTV) October 8, 2020
Son idée serait de mettre en place un partenariat justice-armée et donc de travailler de concert avec la ministre des Armées, Florence Parly. Éric Dupond-Moretti a déclaré avoir rencontré sa collègue pour évoquer le sujet. «Je ne peux pas me résoudre à ce que certains jeunes Français sifflent la Marseillaise et crachent sur notre drapeau, mais je dis également que lorsqu’on regarde un gamin, issu de l’immigration en particulier, comme un Français, il devient Français», a martelé l’avocat.
«Payés aux frais du contribuable»
Une bonne idée? «Oui, mais» pour Cédric Delage, policier et secrétaire national du syndicat France Police–Policiers en colère qui s’est confié à Sputnik:
«Nous sommes favorables à de l’encadrement militaire en ce qui concerne les mineurs ou les jeunes majeurs primodélinquants, ceux que l’on peut encore rattraper. Dans un tel contexte, ils pourront apprendre les valeurs de la République, la citoyenneté, la démocratie ou tout simplement le respect. Il faut leur donner une seconde chance, une opportunité de se réhabiliter.»
Concrètement, quelle forme pourrait prendre le partenariat imaginé par le ministre de la Justice? «Actuellement, l’armée accueille des jeunes, souvent déshérités. Elle leur propose une formation, ils sont payés, et à l’issue de la formation, on offre le permis de conduire au gamin. Je souhaiterais que le ministère de la Justice puisse intervenir dans ce processus», a-t-il déclaré avant toutefois d’avouer: «Maintenant, les choses ne sont pas encore faites parce que techniquement, c’est compliqué». Il assure malgré tout être «en train d’y travailler» avec Florence Parly.
C’est là que le bât blesse pour Cédric Delage:
«Le projet n’est pas rassurant, il faut arrêter le délire! Si c’est pour que des récidivistes, qu’ils soient mineurs ou jeunes majeurs, bénéficient d’un encadrement militaire durant lequel ils seront payés aux frais du contribuable et où ils se verront offrir de passer le permis de conduire, nous disons non.»
Ce n’est pas la première fois qu’Éric Dupont-Moretti évoque la possibilité de faire appel à l’armée pour remettre les jeunes délinquants dans le droit chemin, une idée précédemment émise par le député Les Républicains Éric Ciotti.
En juillet dernier, alors qu’il venait d’être nommé place Vendôme, Éric Dupont-Moretti lançait: «J’envisage avec le ministre des Armées de reprendre une proposition qui a trotté dans la tête de monsieur Éric Ciotti. Ça n’est évidemment pas prêt, j’ai beaucoup beaucoup, beaucoup de travail, mais je voudrais vous faire part de ça, parce que ça peut résumer un peu ma vision des choses.» «Je préfère qu’un gamin ait un militaire pour idole qu’un islamiste radical ou un caïd», avait notamment déclaré le garde des Sceaux.
En 2011, Éric Ciotti avait déposé une loi pour que l’Établissement public d’insertion de la défense (Epide), institution qui accueille dans ses centres de jeunes majeurs en difficulté depuis 2005, s’ouvre aux mineurs de 16 à 18 ans coupables de faits de faible gravité. L’idée était qu’ils réalisent un «service citoyen» de six à douze mois. La loi avait été adoptée, mais jamais mise en œuvre. Avant Éric Ciotti, c’est Ségolène Royal qui avait lancé l’idée lors de la campagne présidentielle de 2007.
Le projet d’Éric Dupond-Moretti, s’il se concrétisait, pourrait faire office d’alternative aux centres éducatifs fermés (CEF), créés en 2002 par la loi Perben. Ces établissements accueillent des mineurs délinquants âgés de 13 à 18 ans. Ces derniers sont entre 8 et 10 dans ces sortes d’internats. Ils y restent pour une durée de six mois, renouvelable une fois, et suivent un enseignement ainsi que des activités liées à la formation professionnelle.
«Le discours politique d’un ténor du barreau»
Pour Cédric Delage, la priorité reste de «cesser l’impunité avec les délinquants». «Il est nécessaire qu’ils soient punis à la hauteur de leurs actes», insiste-t-il.
Êtes-vous favorable à un encadrement militaire pour les mineurs délinquants ? 🪖
— Les Grandes Gueules (@GG_RMC) October 9, 2020
➡️Xavier, expert en cybersécurité, Hauts-de-Seine 📢 : "L'armée est tout à fait capable de réhabiliter des jeunes qui dérivent ! Au-delà de la discipline, il y a des milliers de métiers !" #GGRMC pic.twitter.com/fsmDmA9thx
Le projet d’Éric Dupond-Moretti n’est pas surprenant. Ce dernier a déjà fait part de sa volonté «qu’il y ait le moins d’incarcération possible de mineurs, chaque fois que c’est possible, ça va de soi». «Si la répression était la solution, il y a des siècles que nous le saurions», a-t-il martelé. Le ministre de la Justice affirme vouloir «discuter avec tout le monde, mais pas avec les populistes» sur le sujet.
Sans surprise, Cédric Delage, dont le syndicat s’oppose régulièrement au garde des Sceaux, n’est pas d’accord:
«Il s’agit du même type de discours que celui sur le “sentiment d’insécurité” qu’auraient les Français. C’est le discours politique d’un ténor du barreau. Il faut cesser les bêtises et voir la réalité en face. Les policiers sont confrontés à une délinquance de plus en plus jeune et de plus en plus violente. La société n’a pas su évoluer en même temps que ce phénomène.»
Le policier assure qu’«il faut repenser tout le système pénal en France» et rétablir les peines plancher ou peines incompressibles supprimées en 2014 par Christiane Taubira, alors ministre de la Justice. «Le manque d’effectifs au sein de la police, ainsi que de la magistrature, fait que l’on n’arrive pas à contenir la délinquance et les prisons sont aujourd’hui submergées», alerte Cédric Delage.
«Les jeunes délinquants n’ont plus la peur du policier»
Le problème de la délinquance des mineurs revient régulièrement au centre des débats politiques. En 2019, L’Obs révélait des chiffres qui montraient une augmentation de cette dernière «de 30% à Paris, 60% à Pontoise ou 100% à Bordeaux».
Pourtant Éric Dupond-Moretti assure que «la délinquance des mineurs n’a pas augmenté dans notre pays depuis dix ans». «Demandez aux Français ce qu’ils pensent de cela. La plupart de nos concitoyens sont convaincus qu’il y a une augmentation massive de la délinquance des mineurs. Ce n’est pas vrai», avait-il lancé lors d’une visite à Dijon en septembre dernier.
Pour les jeunes #délinquants : faut-il l'armée à la rescousse ?
— LCI (@LCI) October 9, 2020
🗣@BrunoBonnellOff
"C'est un projet auquel je crois (...) Le rôle éducatif de l'armée a été démontré à de nombreuses reprises (...) Un service national d'intégration française, je trouve que c'est une belle idée" pic.twitter.com/o62WcKeon7
«Encore une fois, tout ceci est politique et l’on peut faire dire ce que l’on veut aux chiffres», lui rétorque Cédric Delage, invitant le ministre à «venir sur le terrain en patrouille avec [nos] collègues et constater la réalité de ses propres yeux»:
«Voyez la violence de ces jeunes délinquants, qui n’ont plus la peur du policier, car l’un de leurs copains, qui a porté des coups à un gardien de la paix, est ressorti libre avant même que le policier ait fini de se faire soigner.»
«Le taux de réponse pénale dans notre pays, c’est 90%. Le taux de mise à exécution des peines prononcées, c’est 92%. Quand j’entends que les peines prononcées ne sont jamais exécutées, que la justice ne donne pas de réponse pénale, que la délinquance des mineurs augmente, je dis qu’il faut remettre les choses à leur place et dire la vérité», a estimé pour sa part le ministre de la Justice.
Un discours que Cédric Delage juge loin de la réalité qu’il dit observer dans son quotidien de gardien de la paix:
«Pensez-vous qu’il soit normal qu’un policier appréhende un individu qui a déjà été interpellé 15 fois pour la même chose? S’il avait été puni à la hauteur de ses méfaits, il n’aurait pas récidivé. La réponse pénale n’est aujourd’hui pas satisfaisante. Environ 80% des personnes que l’on interpelle sont des récidivistes. Ce n’est pas normal.»