Conflit dans le Haut-Karabakh: les mercenaires, une carte pas forcément gagnante

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La Turquie est accusée d’avoir engagé des mercenaires dans le Haut-Karabakh pour combattre aux côtés de l’armée azérie. La présence de ces guerriers armés issus de groupes terroristes inquiète notamment la Russie. Sur le terrain, l’approche de l’hiver devrait jouer en défaveur de ces combattants, estiment des spécialistes interrogés par Sputnik.

L’engagement de mercenaires issus des groupes terroristes syriens dans le conflit du Haut-Karabakh se précise. Mardi 6 octobre, Sergueï Narychkine, le directeur du service russe de renseignement extérieur (SVR), a confirmé que la confrontation armée qui a éclaté au Karabakh attire comme un aimant des militants de diverses structures terroristes internationales.

«Selon les informations dont le SVR dispose, des mercenaires d’organisations terroristes internationales impliquées dans les hostilités au Moyen-Orient, notamment le Front al-Nosra*, la Division al-Hamza, Sultan Murad ainsi que des groupes kurdes extrémistes se précipitent dans la zone de conflit.»

Alliance chiite-salafiste?

Une source officielle arménienne qui a requis l’anonymat a indiqué à Sputnik que parmi les principales organisations terroristes engagées dans ce conflit figurent également Hayat Tahrir al-Sham*, créée en 2017 en Syrie à la suite de la fusion de six groupes djihadistes, et La Brigade du sultan Souleymane Chah, un groupe armé turkmène soutenu par la Turquie.

Sur les réseaux sociaux, les appels au djihad dans le Haut-Karabakh se multiplient. Appâter par les primes, les salafistes ne semblent pas gênés de combattre aux côtés de soldats azéris chiites, considérés pourtant comme impies.

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Interrogé par Sputnik, Sargis Grigoryan, professeur associé en études politiques comparatives à l’université d’État d’Erevan et spécialiste du radicalisme religieux au Moyen-Orient et au Caucase, a souligné que la Turquie est bien derrière l’afflux «des mercenaires qui combattent aux côtés de l'Azerbaïdjan dans le Haut-Karabakh».

«La Turquie a une riche expérience dans l'utilisation de ces combattants en Syrie et en Libye. C'est une question sensible pour le monde arabe également car ce comportement turc affecte les intérêts arabes qui visent à exploiter la présence de guerriers issus de ces pays au Karabakh», précise Sargis Grigoryan.

Déroute hivernale

Selon lui, «il n'y a aucune information sur les combattants arabes qui ont été capturés par les forces arméniennes». Sargis Grigoryan assure cependant que «des mercenaires ont été tués dans les combats et  que leurs cadavres ont été transférés en Syrie». L’agence arménienne Armenpress a diffusé une vidéo dans laquelle figurent des enregistrements captés par les services d’écoute de l’armée attribués à des terroristes syriens. Vers la neuvième minute, un homme parlant en arabe dans un accent moyen-oriental déconseille à son interlocuteur de venir combattre en Azerbaïdjan.

«Hadji, surtout ne vient pas, je jure au nom d’Allah que c’est très difficile. On nous a menti.  Il y a des morts, beaucoup sont sous les décombres et nous n’avons pas pu les retirer. Nous avons entre 30 et 35 disparus, nous ne savons pas s’ils sont morts ou encore en vie. Nous avons eu plus de 70 blessés. Ne laisse personne venir en Azerbaïdjan, nous comptons des morts tous les jours», dit l’homme.

Le nombre de morts parmi les mercenaires s’expliquerait par leur méconnaissance du terrain et la spécificité du conflit du Haut-Karabakh. Les guerriers doivent évoluer dans un environnement totalement différent des zones de combat syriennes, irakiennes ou libyennes.

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Les troupes arméniennes et du Haut-Karabakh, bien qu’étant équipées d’armement moins moderne que celui de leur adversaire azéri, vivent préparées à une confrontation depuis près de 30 ans. La situation risque de se compliquer pour les mercenaires arabes dès les prochaines semaines avec l’entrée de l’hiver dans cette région montagneuse du Caucase. Sargis Grigoryan estime que le froid jouera en faveur des Arméniens.

«Nous ne savons pas encore de quelle manière se déroulera l'évolution de la situation sur la ligne de front. Mais si les opérations militaires se poursuivent, il sera difficile pour l'armée azerbaïdjanaise et pour les mercenaires arabes de mener des opérations offensives. En effet, les mercenaires ne sont pas habitués à la rigueur du climat et il leur sera difficile de lutter en hiver contre les forces arméniennes, habituées au froid.»

Tremplin pour le terrorisme

Même si la Russie a choisi de se tenir à équidistance des belligérants, elle s’oppose à la présence de ces terroristes dans ses pays voisins. Surtout qu’elle a eu à les combattre sur le terrain syrien. Une menace qui doit être prise au sérieux, a souligné le directeur du SVR dans son communiqué. «Nous ne pouvons pas ne pas nous inquiéter de ce que la Transcaucasie devienne un nouveau tremplin pour les organisations terroristes internationales depuis lequel les combattants peuvent ensuite s'infiltrer dans les États voisins de l'Azerbaïdjan et de l'Arménie, y compris la Russie», a mis en garde Sergueï Narychkine.

Pour l’heure, la communauté internationale se contente de dénoncer. Aucune initiative n’a été prise pour lutter activement contre le phénomène de l’engagement d’organisations terroristes dans des conflits armés.

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Pour un pays comme la Turquie, cette sous-traitance lui permet de défendre ses intérêts en limitant les risques pour ses troupes. «La mise en concession des missions militaires en est aujourd'hui à maintenir une façade de légalité des activités tout en brouillant les frontières avec l’illégal», affirme à Sputnik Assia Bakir, diplômée en relations euro-méditerranéennes, monde maghrébin (université Paris 8).

«La privatisation et la sous-traitance des missions militaires connaît un regain important avec toutes les guerres par procuration qu'alimentent les puissances internationales sur fond de luttes géostratégiques. Erdogan, à l’instar des autres, exploite les failles de ce système pour déplacer selon ses besoins, il s’agit pour lui d’infléchir un conflit pour en tirer avantage.»

Selon Assia Bakir, «l'essor de cette pratique met surtout en lumière l'inefficacité du système de la communauté internationale, qui elle-même ferme les yeux devant l’influence grandissante du mercenariat». Elle regrette que «les procès contre les seigneurs de guerre sont menés contre des individus et non contre les États qui les alimentent».

*Organisation terroriste interdite en Russie.

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