Éric Dupond-Moretti accusé de «conflit d’intérêts»: la bronca des magistrats, justifiée?

© AP Photo / Francois MoriÉric Dupond-Moretti
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Les deux plus hauts magistrats judiciaires du pays soupçonnent Éric Dupond-Moretti de «conflit d’intérêts». Le garde des Sceaux a en effet ordonné une enquête disciplinaire envers trois magistrats du Parquet national financier, dans l’affaire des écoutes dont il est lui-même partie prenante. L’avocate Sophie Obadia nuance l’affaire pour Sputnik.

C’est une affaire qui risque fortement de déstabiliser Éric Dupond-Moretti. Le garde des Sceaux est ainsi soupçonné de «conflit d’intérêts» par les deux plus hauts magistrats judiciaires du pays, François Molins (procureur général près la Cour de cassation) et Chantal Arens (première présidente de la Cour de cassation), dans une tribune publiée dans Le Monde ce mardi 29 septembre.

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Bref rappel des faits. Lorsqu’il est nommé ministre de la Justice en juillet dernier, Éric Dupond-Moretti retire la plainte qu’il avait déposée contre X fin juin après avoir appris que ses factures téléphoniques détaillées (les fameuses «fadettes») avaient été épluchées à son insu dans le cadre d’une enquête menée par le PNF. L’institution judiciaire tentait alors d’identifier la «taupe» qui aurait pu informer Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog (ami proche de M. Dupond-Moretti) qu’ils étaient sur écoute dans une affaire de corruption. L’ex-ténor des Assises, qui avait dénoncé des «méthodes de barbouzes», s’était finalement rétracté, soucieux d’apaiser les tensions avec les magistrats, inquiets de sa nomination.

Or, vendredi 18 septembre, M. Dupond-Moretti a annoncé l’ouverture d’une enquête administrative à l’encontre de trois magistrats du PNF, dont Éliane Houlette, aujourd’hui retraitée, qui dirigeait le Parquet national financier au moment des faits. Selon le ministère de la Justice, «il ressort de cette analyse que des faits relevés seraient susceptibles d’être regardés comme des manquements au devoir de diligence, de rigueur professionnelle et de loyauté.»

Interrogée par Sputnik, Sophie Obadia, avocate au barreau de Paris, considère en effet que la surveillance de magistrats et d’avocats par le PNF est une «affaire extrêmement limite»:

«C’est une atteinte au secret professionnel, ce qui est très grave. […] Quand on se retrouve avec des “fadettes” pour nous géolocaliser et savoir ce que l’on a fait, c’est scandaleux! Demander des comptes à ces trois personnes sous l’angle de la loyauté ne me paraît pas déraisonnable. Pour autant, tous les magistrats ne doivent pas se sentir concernés, car tous ne le feraient pas!», lance Sophie Obadia au micro de Sputnik.

L’affaire prend donc aujourd’hui un nouveau tournant avec la prise de position de François Molins et Chantal Arens. Les deux hauts magistrats se font ainsi les porte-voix de la défiance réciproque entre la magistrature et le garde des Sceaux: «Les magistrats sont inquiets de la situation dans laquelle se trouve l’institution judiciaire […] Le conflit d’intérêts que sous-tend cette situation ne peut qu’alerter.»

«Le conflit d’intérêts pour les nuls»

Dans une tribune également publiée dans Le Monde lundi 28 septembre, Eva Joly, avocate et ancienne députée européenne, considère que le ministre de la Justice «se met en situation d’être soupçonné d’agir pour des intérêts particuliers» en instruisant une enquête contre trois magistrats du PNF:

«Ce pourrait n’être qu’une pantalonnade, ou “le conflit d’intérêts pour les nuls”. C’est en réalité une attitude qui a de graves conséquences: elle foule aux pieds, avec cynisme, le principe fondamental de la séparation des pouvoirs et mine la lutte contre la grande délinquance financière et la corruption.»

À l’inverse, Sophie Obadia relativise les accusations portées contre Éric Dupond-Moretti et souligne la «légitimité» de l’enquête réclamée par le garde des Sceaux:

«On ne peut pas vraiment parler de conflit d’intérêts ici. Ce qu’Éric Dupond-Moretti accélère avec sa demande d’enquête disciplinaire, c’est de savoir si ces trois magistrats n’ont pas enfreint des règles de loyauté. […] Ce n’est ni une question anodine ni une question interdite. La question du devoir de loyauté de la magistrature est une question qu’il est important de poser», soutient Sophie Obadia au micro de Sputnik.

Sceptiques dès l’arrivée du célèbre avocat à la Chancellerie en raison de sa méfiance assumée envers la magistrature, les magistrats se disent «ulcérés» par ce qu’ils perçoivent comme une nouvelle attaque contre leur corporation. L’annonce, le 21 septembre, de la nomination d’une avocate –une première dans l’histoire– pour diriger l’École nationale de la magistrature (ENM), n’avait rien arrangé.

Fronde des magistrats contre Éric Dupond-Moretti

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Le 24 septembre, les deux principaux syndicats de la magistrature, l’Union syndicale des magistrats (USM) et le Syndicat de la magistrature (SM), avaient appelé les juges à se rassembler devant les tribunaux de tout le pays afin de dénoncer une «tentative de déstabilisation de l’institution judiciaire» par un garde des Sceaux «placé dans une situation objective de conflit d’intérêts.»

Dans une lettre ouverte adressée au président de la République le 18 septembre, ils dénonçaient «une atteinte inédite à l’indépendance de la justice, qui plus est par un ministre directement concerné par cette affaire», fustigeant «l’attitude subjective, partisane et vindicative» du garde des Sceaux.

Entre Éric Dupond-Moretti et la magistrature, le point de non-retour semble désormais atteint.

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