Entre grand jeu géopolitique et conflit local, la poudrière du Haut-Karabakh peut-elle déstabiliser le Caucase?

© Sputnik . Yury Alexeev / Accéder à la base multimédiaLe drapeau du Haut-Karabagh
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Les affrontements dans la région de la République autoproclamée du Haut-Karabakh ont repris ce 27 septembre. Quelle solution pour ce litige qui date d'un siècle?

Au moins 67 morts en 30 heures, le conflit gelé dans le Haut-Karabakh entre les Arméniens et les Azéris s’est fortement dégradé. Le territoire, à majorité arménienne mais qui a été rattaché en 1921 à l'Azerbaïdjan par les autorités soviétiques, a connu depuis la chute de l'URSS plusieurs escalades.

L'Azerbaïdjan insiste sur son intégrité territoriale, l'Arménie défend, pour sa part, les intérêts de la République autoproclamée du Haut-Karabakh, cette dernière ne participant pas aux pourparlers lancés en 1992 dans le cadre du Groupe de Minsk auprès de l'OSCE présidé par la France, la Russie et les États-Unis.

Les affrontements actuels sont les plus importants depuis 1994. Qui a lancé le premier les hostilités? Ce 27 septembre, le communiqué du ministère azerbaïdjanais de la Défense a indiqué avoir lancé une «contre-offensive sur toute la ligne de front», afin de «mettre fin à des activités militaires des forces armées de l'Arménie et assurer la sécurité de la population civile». Ce qu’a réfuté l'Arménie, rejetant la responsabilité de l’agression sur Bakou.

Vers l'escalade la plus meurtrière depuis 30 ans?

Les deux camps déclarent avoir infligé un bilan humain bien plus lourd à son adversaire, Bakou affirme avoir tué 550 soldats ennemis, tandis qu’Erevan dit en avoir éliminé plus de 200. Au moins 28 soldats du Haut-Karabakh ont été tués ce 28 septembre, portant le bilan dans ce camp à 59 morts. Chars, hélicoptères, lance-roquettes et drones ont été déployés dans cette région du Caucase, des images de destructions de véhicules ont également été diffusées de part et d’autre.

La loi martiale a été décrétée en Arménie comme en Azerbaïdjan. Le scénario d'une escalade durable paraît alors plausible. Déjà en juillet 2020, Arméniens et Azerbaïdjanais se sont déjà affrontés pendant plusieurs jours à leur frontière nord. Pour Jean Radvanyi, géographe et spécialiste de la Russie et des États postsoviétiques, auteur de l’Atlas géopolitique du Caucase (Autrement, 2010), le scénario est à craindre. Celui-ci évoque «des armées très équipées», particulièrement en Azerbaïdjan qui, avec les ressources financières du pétrole et du gaz de la Caspienne, «a beaucoup investi dans son armée» même si elle «n’est pas forcément la plus efficace». Du côté arménien, il parle d’une «vraie mobilisation» des forces militaires. «On est déjà dans un conflit ouvert», observe Laurent Leylekian, analyste politique, spécialiste de l’Asie mineure et du Caucase du Sud.

Quelles concessions pourraient malgré tout permettre une normalisation des relations bilatérales? Pour Radvanyi, il s’agirait surtout de revenir au statut du Haut-Karabakh antérieur à 1991, certains «territoires occupés» n’ayant «jamais appartenu au Karabakh auparavant». Mais l’Azerbaïdjan devrait de son côté être disposé à de nouveaux compromis. Les «opinions chauffées» et les «ressentiments nationalistes» avivés de part et d’autre ne seraient pourtant pas de nature à obtenir un compromis. La résolution de ce conflit de longue haleine est «assez inextricable», juge-t-il.

«Les choses sont désormais enkystées de part et d’autre. Il n’y a jamais eu de volonté politique réelle de part et d’autre de faire les compromis nécessaires pour qu’une solution pacifique soit possible. Donc on est coincé.»

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Appelant de ses vœux à «un mécanisme de désescalade sur le court terme pour revenir à un cessez-le-feu», Leylekian salue les positions de «l’ensemble de la communauté internationale». En effet, de nombreux États sauf la Turquie ont appelé à la cessation immédiate des hostilités et à la négociation, notamment la France et la Russie, co-présidents du Groupe de Minsk de l'OSCE constitué en 1992.

«Funambulisme» ou «équilibre»?

Le Quai d’Orsay a réitéré «son engagement en vue de parvenir à un règlement négocié et durable du conflit» accompagné de ses «partenaires russe et américain». Le Kremlin a qualifié les affrontements de «préoccupation sérieuse pour Moscou».

«La Russie est des deux côtés, rappelle Jean Radvanyi. La Russie vend des armes et à l’Azerbaïdjan et à l’Arménie, avec une petite préférence pour l’Arménie, puisqu’il y a des accords qui lient Moscou à Erevan qui sont un peu plus précis et vont un peu plus loin, que les accords qui vont avec Bakou».

Il s'agit donc selon celui-ci de «funambulisme» puisque la Russie appuie les deux parties ce qui ne rendrait pas les négociations assez efficaces.

Laurent Leylekian confirme, pour sa part, l’influence de Moscou «sur l’Arménie» rappelant que la Russie «assure la sécurité de l’Arménie, via le traité de sécurité collective [OTSC, ndlr]». Un accord qui ne concerne pas l'Azerbaïdjan. Ainsi, sur ce sujet précis, la Russie ne montrerait pas «de parti pris» mais plutôt une «position d’équilibre».

La Turquie au secours de Bakou

Le seul pays tiers qui n'en appelle pas à la paix est un acteur régional de premier plan, la Turquie. Elle a assuré Bakou, son principal allié, de son soutien total. Recep Tayyip Erdogan s’est prononcé sans fards sur le conflit ce 28 septembre, considérant que «le temps est venu de mettre fin à l'occupation de l'Arménie» dans le Haut-Karabakh et qu’il s’agit des «terres de l'Azerbaïdjan». Ankara se tiendra «aux côtés du pays frère et ami qu'est l'Azerbaïdjan de tout notre cœur et par tous les moyens», a poursuivi le Président turc. Au-delà des rancœurs historiques arméno-turques, Jean Radvanyi explique ainsi cette position tranchée de la part d’Ankara:

«Les Azéris sont proches linguistiquement et en partie culturellement et religieusement de la Turquie. La Turquie a toujours été un soutien intéressé de l’Azerbaïdjan, parce qu’il y a des intérêts économiques, des gazoducs, des oléoducs, qui vont vers la Turquie. Il y a la vieille volonté turque d’un panturquisme global, y compris d’une frontière commune entre la Turquie et l’Azerbaïdjan, par-delà le territoire arménien.»

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Le chef de l’État turc a également haussé le ton contre l’incapacité du Groupe de Minsk à résoudre ce dossier épineux: «pendant 30 ans, ils n'ont pas pu résoudre ce problème. Et ils ont tout fait pour qu'il ne soit pas résolu. Maintenant, ils nous apprennent, et parfois ils menacent».

Ingérence politique et militaire? C’est ce que dénonce en tout cas Erevan. L’ambassadeur d’Arménie en Russie, Vardan Toganian, a informé la partie russe du transfert de «4.000 combattants du nord de la Syrie» vers l'Azerbaïdjan par les autorités turques pour participer aux affrontements. Le président de la République autoproclamée, Arayik Haroutiounian, a affirmé de son côté que «la Turquie combat contre le Haut-Karabakh, pas que l'Azerbaïdjan. Il y a des hélicoptères turcs, des F-16 et des troupes et des mercenaires de différents pays». Si la diplomatie européenne n’a pas été en mesure de confirmer ces allégations, Peter Stano, son porte-parole, a jugé l’escalade des combats «très préoccupante» et toute ingérence «inacceptable».

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